Les Petits Poux

Avec Sebolo
Lire le Chapitre 1

 

CHAPITRE 2  

De l'art du réveil et de ses incidences sur les relations fils-parents

 

Néanmoins, au milieu du volcan en ébullition qu'était devenu le village de Fol épi, un petit pou semblait flotter paisiblement. Ce qui outre une image (le petit poux, vous vous en doutez bien n'étaient pas vraiment entrain de flotter sur de la lave en fusion) est surtout une excellente manière de vous présenter l'un des héros de l'histoire.
En effet, si vous repensez aux histoires que vous avez déjà lues, vous vous rendrez compte que le héros ne fait jamais ce que font les autres personnages.
Et oui ! Il est comme ça le héros ! Ca ne l'intéresse pas de tourner en rond comme tout le monde, en hurlant « Au secours ! Au secours ! » avant de se faire écraser par la première comète venue. Lui, son rôle, c'est d'être différent. C'est d'attirer l'attention, et notamment la tienne, ami(e) lecteur/ lectrice qui te croit à l'abri derrière tes remparts de papiers et qui en profite pour te curer le nez avec négligence. Tu crois qu'on ne te voit pas, d'ici ?

Quoiqu'il en soit, notre héros ne semblait pas affecté le moins du monde par le vacarme des préparatifs à l'évacuation du village. Il faut dire que bien au calme sous la couette de son grand lit, il dormait profondément. Pik-pouce, puisque c'était le nom qui était écrit sur le col de son pyjama (à la demande du directeur de colonie de vacances où il était parti l'été précédent), avait beau être un héros d'histoire, il n'en aimait pas moins faire de longues grasses matinées. Ce qui n'aurait d'ailleurs posé aucun problème à personne si l'on n'était pas le matin du grand départ. Afin donc qu'il ait le temps de rassembler ses affaires, ses parents avaient demandé à sa petite sœur, Pouxeline, d'aller le réveiller.

Et c'est ce qui explique pourquoi la petite poux se tenait debout sur le rebord du lit de son frère, les deux bras à la verticale, un énorme polochon tout au bout et un sourire immense lui barrant le visage d'une couette à l'autre.

Enfin, c'est ce qu'entrevit Pik-Pouce tandis qu'il ouvrait les yeux avec difficulté et que la voix doucereuse de sa sœur glissait à ses oreilles un suave «  Boooonnjooour ! » . Quelques instants plus tard, la vision de la frangine disparut, remplacée par un grand brouillard blanc qui s'écrasait sur son visage en faisant de grands «  poufs  » ou « Paaf ! » voire même «  Piif ! » suivant l'angle avec lequel elle polochonait la caboche de son grand frère.

Pik-pouce, d'abord surpris, parvint assez vite à aspirer assez d'air pour crier à sa sœur d' arrêter ça tout de suite ou que sinon ça allait barder pour ses couettes . Une tentative honorable mais infructueuse puisque du point de vue de Pouxeline, cela donna quelque chose comme: « Arre Pof ça tout de Pouf sinon repof ça va bar Piif pour tes couet peef ! »

Ne comprenant pas ce que lui demandait son frère (vous y seriez arrivés, vous, sans la traduction de départ ?), Pouxeline continua donc de le réveiller gaiement. Ce qui sembla assez efficace, vu que Pik-pouce se leva d'un bond, attrapa le polochon et l'envoya voler dans la chambre.

A ce moment là, si un rayon de lumière s'était glissé entre les persiennes et était venu éclairer le visage de Pik-pouce, on aurait pu voir un souffle de taureau jaillir de ses narines et flotter devant ses yeux rouges de colère.

De manière assez étonnante, en dépit du manque de lumière, il sembla que Pouxeline se rendit compte de l'état de son frère. Ce qui laisse donc supposer qu'elle était soit capable de voir dans la pénombre, soit qu'elle possédait déjà le mystérieux seizième sens des soeurettes, véritable détecteur à colère de grands frères.

Quoiqu'il en soit, avant même que Pik-pouce ait pu commencer à imaginer comment il allait se venger de sa sœur, Pouxeline avait déjà dégainé son fameux hurlement calibre 357. Celui-là même qui ressemblait à peu près à ça (à hurler en dos mineur, tempo 120) :

- MAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! (pause) PAAAAAAAAPAAAAAAAAAAAAA ! (pause et reprise à la coda) MAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! PAAAAAAAAPAAAAAAAAAAA ! »

et qui ne manqua pas de faire accourir Mamapouh à la porte de la chambre, en moins de 7 secondes et 248 millième, ce qui constitue à ce jour un record de vitesse.

- NON-MAIS-QU'EST-CE-QUI-VOUS-PREND-CA-NE-VA-PAS-OU-QUOI? » dit Mamapouh qui parlait souvent avec plein de tirets entre les mots lorsqu'elle était énervée.

- C'est Pik-pouce, Môman ! Je voulais lui faire un bizôu pour le réveiller et lui il m'a frappé avec le pôlôchôn ! Il est trôp môchant ! gémit Pouxeline, en utilisant le coup des d'accents circonflexes partout, autre technique du seizième sens des soeurettes.

- Mais non Maman ! C'est pas vrai ! tenta Pik-pouce, sans tirets ni circonflexes, ce qui n'impressionna personne.

- Tu trouves ça malin de frapper ta sœur! Tu crois qu'on n'a pas mieux à faire aujourd'hui ? Avec toutes ces comètes tondeuses, ces départs précipités et ces tupperwares de pique nique à préparer ? Tu me déçois beaucoup Pik-pouce ! s'énerva Mamapouh, tout en prenant Pouxeline dans ses bras.

- Mais Mamän ! essaya Pik-pouce avec un tréma peu convaincant sur le « a ».

- Il n'y a pas de Mamän qui tienne ! Ni de papä d'ailleurs ! coupa nette la grosse voix de Poupapa qui franchissait à son tour le seuil de la chambre (et terminait ainsi en seconde position avec un temps de 17 secondes et 836 millièmes, ce qui était pas mal comme résultat si on omettait de rappeler que c'était une course à deux concurrents.)

- Je ne veux pas savoir qui a commencé ! Ni pourquoi ça a commencé! Ni même à quelle moment précis ou en quel lieu ça a commencé! Je me fiche de tout ça ! Remarquez bien que pour le savoir, il me suffirait de relire les paragraphes précédents. Mais je ne le ferai pas. Et vous savez pourquoi ?

- Parce que tu ne veux pas le savoir ? répondit Pik-Pouce

- Exactement fiston ! Le passé ne m'intéresse pas ! Les plumes de polochon qui volètent en tous sens ne m'intéressent pas ! Pourquoi ta pauvre et gentille et innocente petite sœur est en larme ne m'intéresse pas ! répéta Poupapa, qui avait l'habitude de prendre partie pour sa fille et de toujours en faire trois fois trop.

- Il est temps de penser à l'avenir les enfants ! Il est temps de trier ses affaires, ses peluches et sa collection entière de « Croûte et Pou magazine » !

- Mais j'ai déjà fait tout ça ! avança Pik-pouce en montrant le tas de jouet immense qui s'amoncelait dans le coin de sa chambre.

- AAAH ! Je suis fier de toi fiston ! Tu as su te séparer du superflu et de l'inutile pour ne garder que l'essentiel !

- Mais…euh…ça, c'est que j'aimerai emporter Poupapa…

Si nous étions dans un manga ou un dessin animé japonais, à ce moment précis de l'histoire, des petits corbeaux noirs passeraient au dessus des visages des personnages, en faisant croa croa et en semant des points de suspensions dans leur sillage. Mais comme nous ne sommes ni dans un manga, ni dans un dessin animé (quoique si un producteur venait à lire et à aimer cette histoire, qu'il n'hésite pas à nous contacter), nous nous contenterons de dire qu'un silence gêné passa sur l'assemblée.

- Mais…ça va être difficile de tout prendre, mon chéri, commença Mamapouh

- Il va falloir être raisonnable fiston ! Faire des choix, sélectionner, sacrifier ! Nous devons privilégier l'essentiel compléta Poupapa.

- Ah bon ? Parce que le système de nettoyage presse vapeur de maman, c'est essentiel ? se défendit Pik-pouce.

- Evidemment ! Sinon comment ferait-on pour faire partir les tâches incrustées dans les fibres ? répondit-elle.

- Et la collection de rognures d'ongles sculptés de Papa, c'est nécessaire aussi ?

- Oui…bon…euh, ça suffit fiston ! On ne va pas discuter des heures non plus ! Le village va bientôt être détruit, on est au bord de l'apocalypse ! lança Poupapa sans reprendre son souffle. Alors tu vas être gentil, tu jettes tout ce dont tu n'as pas besoin et tu nous apportes le reste devant le garage qu'on le charge dans la Poo 7 conclua-t-il, faisant au passage un peu de publicité pour la célèbre marque de charrette Poo 7.

Puis il quitta la chambre beaucoup plus vite qu'il y était entré et ferma la porte dans un claquement qui voulait dire « fin de toute discussion ».

Malheureusement pour son effet de chute, Mamapouh était encore à l'intérieur et elle dut bien, pour sortir à son tour, rouvrir la porte, la franchir avec un sourire gêné et la refermer dans un claquement qui signifiait « mon mari a beau ne pas toujours être très malin, c'est mon mari et je suis entièrement d'accord avec lui : toute discussion est donc terminée. »

C'est quand même fou ce qu'on peut faire dire à une porte...

 

Lire le Chapitre 3