Les Petits Poux

Avec Sebolo
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CHAPITRE 3  

De l ' importance de bien suivre durant les cours de géomorphologie topographique

Pik-pouce se retrouvait ainsi face à sa pile de jouets, le cœur gros et sans la moindre envie d'en ôter le moindre petit élément. Pouxeline qui, bien qu'on n'ait plus parlé d'elle depuis le milieu du chapitre précédent, était toujours dans la chambre, s'avança alors vers son frère.

- Si tu veux, je peux t'aider à choisir !

- Non merci ça ira, espèce de petite chouchoute!

- Je n'y peux rien si les parents me préfèrent moi ! Ca doit venir de mon charme et de mon intelligence ! se pâma Pouxeline, le revers de la main sur le front.

- Tu parles ! Ils adorent juste ton côté bébé lente qui bave!

- T'as pas le droit de dire ça ! Déjà, je ne suis plus une bébé lente, et ensuite, pour la bave, tu sais très bien que le docteur a dit que c'était juste une hypertrophie des glandes salivaires ! rétorqua Pouxeline qui ne supportait pas qu'on lui rappelle les longues heures d'hôpital qu'elle avait dû subir, divers bâtonnets en bois dans la bouche.

- Bébé lente qui bave ! Bébé lente qui bave ! Bébé lente qui bave ! Bébé lente qui bave ! se mit alors à chanter Pik pouce, tout content d'avoir trouvé un détail qui énerve sa sœur.

- Je suis peut-être une bébé lente qui bave, hurla Pouxeline dans un jet de salive incontrôlé, mais je n'ai plus besoin de doudou, moi au moins ! finit-elle en s'essuyant d'une main et en attrapant de l'autre Boolosh, la peluche préférée de Pik-Pouce.

Avec le maximum d'élan, elle sauta alors sur le lit, utilisa au mieux la détente des ressorts et s'échappa par la fenêtre, dans un superbe quintuple salto avant. Enfin, le coup du salto c'est juste pour dynamiser la scène et se la jouer un peu film de kung-fu. Mais bon, on n'a pas tous les moyens de travailler avec des cascadeurs chinois. Et puis, en plus, ils ont beaux être petits les chinois, il n'y en a qu'en même pas beaucoup qui mesurent la taille d'un poux.

Pik-pouce, affolé, voyait donc sa sœur s'enfuir vers l'arrière de la maison, son doudou à la main, ses couettes battant l'air comme les ailes d'un poussin sprinteur. Et il comprit alors avec effroi qu'elle se dirigeait vers la Grande Crevasse.

Sans l'ombre d'une hésitation, il rebondit à son tour sur le matelas, passa la fenêtre en poussant un cri suraiguë (non qu'il aime les films de kung-fu, mais son pied accrocha le rebord de la fenêtre) et s'élança à la poursuite de Pouxeline.

Lorsqu'il la rattrapa enfin, après une course haletante de presque une ligne entière, la première vision qu'il eut d'elle fut un filet de bave qui jouait à Tarzan, pendu à son menton. La deuxième fut celle d'une pellicule blanche qui passait dans les airs (que voulez vous, il avait toujours aimé ça, regarder voler les pellicules.) La troisième, enfin, fut celle, horrible et terrifiante, de sa sœur brandissant Boolosh au dessus de la Grande Crevasse.

Pouxeline, essoufflée, se tenait au rebord de la falaise et menaçait de lâcher la peluche. Une vision d'autant plus inquiétante que sous les fesses de Boolosh, la Grande Crevasse chutait à la verticale sur des centaines de micromètres, ce qui peut paraître ridicule de notre point de vue, mais constitue tout de même une sacrée hauteur pour un pou.

- Mfaintfenant tu fas retirer fe que tu difais ! Fe fuis pas une bébé flente qui fbave, dit-alors Pouxeline, qui avait décidément du mal avec sa salive Finon, tu peux dire au refoir à ton boolofh !

- Arrête Pouxeline ! Ne reste pas là ! C'est super dangereux !

- Pfff, tu dis fa parfe que tu as pfeur que je lanfe ta pelufe ! s'entêta Pouxeline, ne se rendant pas compte que Pik Pouce ne disait pas ça par crainte de voir sa peluche découvrir les joies de la chute libre sans parachute. Enfin, il avait quand même un peu peur de ça, mais une autre angoisse, beaucoup plus sourde et profonde, venait de le saisir aux entrailles.

 

A ce moment du récit, il me paraît opportun, afin de bien saisir dans quel état se sentait Pik pouce, de digresser très rapidement sur les caractéristiques tant topographiques que géomorphologiques de la Grande Crevasse. Ce qui me permet à la fois de mettre plein de mots compliqués dans mon histoire et de nous donner la sensation de lire un ouvrage particulièrement savant. Si toutefois les mots compliqués te rebutent, cher(e) ami(e) lecteur/trice, ou que simplement tu trépignes d'impatience de savoir ce qui va arriver à Pouxeline, perchée au sommet de la Grande Crevasse, je t'invite à sauter les lignes qui suivent et à nous retrouver 5 paragraphes plus loin.

Pour ce qui serait encore présent en ce début paragraphe, je tiens d'abord à vous remercier pour votre lecture consciencieuse et à vous dire ensuite que vous auriez mieux fait de sauter les paragraphes. En réalité, la géomorphologie topographique est l'une des sciences les plus ennuyeuses qu'il soit. D'ailleurs, rien qu'à l'écrire, on est déjà mort d'ennui. Mais bon, comme il faut que je meuble pendant encore 4 paragraphes, je vais tout de même vous expliquer en quoi ça consiste.

En résumé, les géomorphologues-topographes sont des gens assez bizarres. Généralement chauves, ils portent des lunettes et adorent se balader le nez rivé au sol. A leur décharge, il faut reconnaître que c'est tout de même la meilleure position pour étudier le type de cailloux ou de terre sur lequel ils marchent. Remarquez qu'un vrai géomorphologue-topographe n'appellera jamais le sol par le mot « sol », ou un caillou par le mot « caillou ». Un vrai géomorphologue-topographe parlera de couches sédimentaires ou de lapiez lazulite précambrien. Ce qui est la même chose, mais permet d'organiser pleins de colloques pour en discuter.

Le but du géomorphologue-topographe est donc de réfléchir à pourquoi tel caillou se trouve sur tel sol, et par extension pourquoi cette vallée s'est creusée en « V », en « W, ou en « Zloglawi » ou qu'est ce que fait cette montagne en plein au milieu du paysage. Un métier passionnant donc, mais qui rend un peu chauve.

Notez bien que du coup, le géomorphologue-topographe n'a jamais de problème de pou et peut observer à loisir la surface de son crâne. Ce qu'il ne manque pas de faire, les longues soirées d'hivers, seul, dans son laboratoire. Là-bas, devant la glace du vestiaire, il analyse ainsi la forme de sa caboche et y applique ses théories sur pourquoi les montagnes, les vallées ou les crevasses se trouvent à tel endroit. Après tout, si ça marche pour la terre, il n'y a pas de raisons que ça ne fonctionne pas avec les autres trucs ronds.

Ainsi, un géomorphologue-topographe qui se serait penché sur le crâne où vit notre tribu de poux, aurait été des plus intrigué par la Grande Crevasse qui strie le cuir chevelu, juste en dessous du gros épi tout brun. Mettant son savoir à l'échelle locale, il en aurait aussitôt déduit que cette crevasse résultait d'un tremblement de crâne sous cutané dû à un choc intense (comme une chute à vélo).Pas fainéant pour un sou, il aurait ensuite déduit qu'en vertu des risques de répliques des chocs (monter à vélo est un art difficile) et de la position surélevée de la Grande Crevasse, il serait des plus dangereux de se poster en son sommet. En effet, en cas de nouveaux tremblements, elle risquerait de s'écrouler.

Ce que Pik-pouce, sans avoir jamais suivi le moindre cours de géomorphologie topographique, savait pertinemment grâce aux anciens du village et à leur mise en garde comme «  A la grande crevasse, ça passe ou ça casse  !» ou «  Qui va à la Grande Crevasse, un jour, il se ramasse !  » C'était certes beaucoup moins scientifique qu'un bon traité de Géomorphomachin, mais ça présentait l'avantage d'être beaucoup plus expressif.

Et c'est pourquoi, la peur au ventre, Pik pouce faisait en sorte de calmer sa petite sœur afin qu'elle revienne vers lui et quitte au plus vite le rebord de la corniche.

- Je retire tout ce que j'ai dit Pouxeline ! T'es pas un bébé lente qui bave ! Allez viens maintenant ! lui lança-t-il, mais pas trop fort, de peur que ça la renverse.

- C'est vrai ? répondit-elle, enfin débarrassée de son surplus de salive. Ben je te rends ton doudou alors ! sourit-elle en s'avançant vers lui.

La tension qui serrait les tripes de pik pouce disparut alors d'un coup. Malheureusement, ce faisant, elle retrouva sa taille maximum et l'estomac de Pik-pouce se rappela qu'il n'avait pas encore petit déjeuner. Et comme tout bon estomac affamé, il le fit savoir à son hôte, en poussant un long gargouillement plaintif. Un violent ggggagaaaaarrrrrgggogooooouuulliiiiisiis  s'éleva ainsi dans les airs et agita tout le corps de Pik pouce. Son torse, ses bras, ses jambes se mirent à trembler.

- Pik pouce ? Qu'est ce qui se passe ? s'inquiéta Pouxeline. Pourquoi y'a tout qui bouge ?

Le petit pou releva la tête et découvrit que le pire était en train d'arriver. Prenant le relais de son estomac affamé, le sol tremblait en tout sens, soulevé par une redoutable secousse crânienne. La Grande Crevasse recommençait à bouger !

Dans un superbe effet de ralenti, avec voix déformés vers les graves, Pik-pouce s'élança alors vers sa sœur. Malheureusement, la distance qui les séparait était encore trop grande, et l'effet de ralenti, bien qu'assez joli d'un point de vue esthétique, le freina considérablement dans sa course. En dépit de ses efforts, il ne put la rattraper à temps. Déjà, la corniche où se tenait Pouxeline s'était fissurée et détachée, sous les yeux impuissants de Pik pouce.

Et tandis que son ventre terminait de gargouiller dans un son grave, le petit pou plongea dans le vide, avec le fol espoir de rattraper sa sœur et son doudou.

A suivre...