Post Mortem
Une tentative theatrale de John C. Fink

 

Scène 5

 

Comme à chaque début de scène, la guirlande s'illumine et accompagne le petit tididing guilleret. Sauf que cette fois, on a droit à une double arrivée et donc à un double jingle.
Larry, le mari de Dorianne et le gendre de Tante Lara fait son entrée en compagnie de son fils, Solead. Le premier est un bonhomme bedonnant, au faciès lourd et aux petites lunettes de vue. Il a aussi une pelle à cheminée en travers du torse. Solead est un enfant d'une quatorzaine d'année avec un tisonnier dans le ventre.
Ils avancent, hagards sur scène et découvre avec stupeur les premiers arrivants.

Larry : Qu'est-ce..qu'est-ce qui se passe ?

Majordome Dom : Monsieur Larry, Monsieur Solead, Bienvenue en enfer !

Larry : En enfer ?

Solead : Cool !

Larry : (surpris et inquiet) Mais qu'est-ce que vous faites tous là ?

Tante Lara : (En reprenant sa voix) « Qu'est-ce que vous faîtes tous là ? » Comme si vous ne le saviez pas.

Solead : Hé Daddy! Tu as vu ça ! Mamy elle n'est pas toute pourrie comme tu disais.

Larry : Ne parle comme ça de ta grand-mère.

Tante Lara : Laissez. Il a l'honnêteté de dire ce qu'il pense. Ce qui n'est pas forcément votre cas.

Solead : Je croyais qu'elle serait toute puante avec plein de vers partout.

Tante Lara : Ca suffit, n'en fait pas trop. Alors mon gendre, on s'amuse à tuer sa belle-famille ?

Larry : (Inquiet) Co…comment ça ?

Fargo : (Blasé) Allez Larry, avoue. On se doute bien que c'est toi qui m'as farci le coltard de scorpions et qui as poussé Rémi au fond du trou.

Larry : Mais non…il…il a glissé. Et c'est lui qui l'y a aidé.

Solead : Même pas vrai !

Larry triture violemment le tisonnier dans le torse de Solead.

Solead : Aï-ouille !

Tante Lara : Vous en prendre à votre fils. Vous êtes vraiment dérisoire mon gendre. Je ne comprendrais jamais comment ma fille a pu épouser un mou comme vous.

Larry : Mais non. Ce n'est pas vrai. Nous aussi nous avons été agressé.

Tante Lara : Vous nous prenez vraiment pour des buses Larry.

Larry : Mais non. Nous avons été attaqués par un inconnu. En pleine nuit, au manoir. Dorianne avait insisté pour qu'on y reste. Nous étions endormis et puis…( il réfléchit ) et puis j'ai entendu un bruit dans la grande salle. Je me suis levé, j'ai dit à Dorianne de ne pas s'inquiéter et elle m'a dit d'aller voir. J'ai descendu le grand escalier, et là, en bas, un homme gigantesque m'est tombé dessus. (La voix flanche lentement) Il m'a matraqué à coups de tisonnier. C'était atroce. Je pensais à Dorianne, là haut, à ce qu'il allait lui arriver. Et je ne pouvais rien faire. Absolument rien. La dernière chose que j'ai vu, c'est Solead. Et puis la pelle à cendre.

Solead : Moi, ça a été Daddy et le tisonnier.

Larry : (En larme) Ma pauvre femme ! J'ai été incapable de la protéger. Elle doit être mor… (il tilte) Mais ! Si elle n'est pas là…avec nous…c'est qu'elle a survécu ! (à Asmodée) Elle est encore vivante n'est-ce pas ? Ô mon Dieu merci, merci !

Asmo : Mon dieu, mon dieu…Peut-être qu'elle ne se trouvait pas du même côté de la pelle que vous…

Larry : Quoi ? Qu'est ce que vous voulez dire ?

Asmo : Je ne dis rien moi. J'insinue, c'est tout…

Tante Lara : À vous de déduire mon gendre. Ça ne devrait pas être trop compliqué.

Larry : Dorianne nous aurait … ? Mais…Mais…pourquoi …?

Majordome Dom : On ne profite jamais autant d'un héritage que toute seule.

Larry : Mais, il y en avait largement assez pour trois. Et puis, avec tout ce que j'ai fait pour elle, elle n'avait pas le droit. Pas après que… (Il éclate en sanglot)

Fargo : Et oui Larry ! Dorianne a toujours été redoutable au Cluedo. Elle a bien joué le coup : après que la grand-mère est passée à la chaise électrique, elle voit l'occasion de prendre enfin sa revanche en touchant l'héritage. Elle te fait tuer ses deux frères l'un après l'autre puis se débarasse de toi. Du coup, tu prends le rôle du grand méchant qui tisonne son fils dans un accès de folie avant de manquer de justesse sa femme. Dorianne te tue en légitime défense et devient une pauvre veuve survivante, comme dans les mauvais séries américaines. Elle touche les sous. Et elle se barre. C'est ultra simple. Je comptais faire pareil.

Larry : Mais…mais l'homme ! Il y avait vraiment un homme dans la grande salle.

Tante Lara : Un complice. Ou un amant peut-être. Qu'est-ce que vous voulez, vous avez toujours été un mou, mon gendre. Toujours à hésiter, à se demander si ce n'est pas trop risqué, si on ne le regrettera pas. Tenez, je suis certaines que ça fait des années que vous aviez envie de me tuer. Est-ce que vous l'avez fait ? Non. Larry est un mou. Est-ce que vous avez seulement tenté de m'opposer la moindre remarque? Jamais. Pas même une seule répartie. Vous n'êtes qu'un perdant Larry. Et ma fille vous l'a bien démontré. À grands coups de pelle dans le crâne.

Durant tout la tirade, Larry s'enfonce au creux de ses bras, se recroqueville de plus en plus, en larmes.

Larry : (Un temps. Puis il éclate en sanglot) Ô pauvre de moi ! Qu'est-ce que j'ai fait ? Je vous ai … (Il regarde les deux frères) Je vous ai…

Rémy : Ça va, ça va, c'est rien. C'est des choses qui arrivent. Ça passera.

Larry : Mais non ! Ça ne passera jamais. Je me suis damné pour elle. J'ai même entraîné mon fils avec moi.

Solead : C'est pas grave Daddy, ils ont plein de black méta icil.

Larry : Pauvre de moi. Je suis maudit.

Asmo : Tout de suite les grands mots! Faut pas s'en faire. Eux aussi, ils sont damnés. Est-ce qu'ils ont l'air de le prendre si mal que ça ? Après tout, qu'est-ce que c'est qu'une éternité de souffrance ?

Larry : Qu'ai-je fait ? (Sa phrase finit dans une bouillie de sanglots)

Tante Lara : Et gnagnagna et gnagnagna! Je ne pensais pas qu'on trouverait plus chochotte que Rémy.

Fargo : C'est pour ça qu'elle l'a choisi. Pour pouvoir s'en débarrasser au bon moment, après en avoir bien tiré tout le jus.

Majordome Dom : En tout cas, Madame Dorianne a décroché le jack-pot.

 

Scène 6

 

Et encore un petit tididing pour ouvrir la scène. Cette fois-ci, il est précédé d'une détonation fulgurante, proche d'une explosion au gaz. La guirlande clignote et Dorianne fait son entrée, dans un nuage de poussière. Elle est en haillon, les vêtements déchiquetés, le visage soufflé de noir par la déflagration. Sinon, c'est une femme élégante d'une trentaine d'année.
Derrière elle, un homme plus âgé, en tenue strict, suit, dans le même état. On ne le sait pas encore mais il s'agit du notaire de famille, et non pas de l'amant.
Dorianne fait son entrée de façon très sobre. Tout le monde la fixe avec différents regards. Elle ne bronche pas et examine le décor qui l'entoure.

Dorianne : Alors c'est ça l'enfer ? C'est d'un ringard.

Le notaire : Je vous demande pardon madame Dorianne. Vous dîtes que nous sommes en… en enfer?

Elle s'époussète les lambeaux de tailleur.

Dorianne : Où voulez-vous qu'on soit Notaire ? Regardez le comité d'accueil. Ils n'ont rien trouvé de mieux que de déguiser des démons aux visages de ma famille. C'est vraiment limite.

Larry : (Il se traîne vers elle) Dorianne ! C'est bien toi ?

Dorianne : Dégage pauvre clown. Tu es loin d'être aussi pitoyable que le vrai Larry.

Larry : Mais… (il s'écroule)

Tante Lara : Désolé pour toi ma fille. Mais nous sommes tes vrais parents.

Fargo : Et à vrai dire, on ne t'attendait pas si vite.

Majordome Dom : Madame a du avoir un empêchement ?

Dorianne : On peut appeler ça comme ça. L'immeuble du notaire a été soufflé par une explosion. Enfin je crois. Tout ce dont je me rappelle, c'est qu'on venait de signer la remise d'héritage avec monsieur.

Le notaire : Oui…Vous étiez tous morts tout à l'heure.

Majordome Dom : Nous le sommes encore.

Dorianne : Bref. J'allais enfin toucher la somme et pouvoir vivre ma vie. (rire nerveux) Après tout ses efforts, BOUM ! Ça vole en fumée. (Elle réalise d'un coup) Et Uther? Pourquoi n'est-il pas là ?

Tante Lara : Uther ? J'imagine que c'est le nom de ton amant ?

Dorianne : Exact ! Et je peux dire que c'est autre chose que cette loque de Larry. Une vraie bâtisse mon Uther. Un vrai mâle. (à Larry) Mais tu as du t'en rendre compte, Larry, quand il te tabassait à coup de pelle? Tu l'as bien senti hein ?

Larry : Mais moi, Dorianne, je t'aimais…

Dorianne : Tu appelles ça de l'amour toi ? Ce n'est pas un mariage ce qu'on a fait Larry, c'est du masticage. Tu t'es collé à moi, dès le premier jour, comme un chewing-gum pâteux et nauséabond. Et moi qui croyais que tu m'emmènerais loin de tous ça. Quelle erreur ! Tu m'as juste plantée un chiard dans le bide! Je ne sais même pas ce qu'il fait là, lui d'ailleurs.

Nouveau jingle d'arrivée et lumières de guirlande. Une cagole finie passe la tête par la porte. Masticage de chewing-gum à mort. Elle tient un bout de bras à la main.

La cagole : Le « Macumba », c'est bien ici ?

Asmo : Dans le mille, la belette!

La cagole : (elle balance le bout de bras dans le salon) C'est pour vous. Ça s'appelle Uther, je crois bien. À la revoyure mes biquets.

Dorianne s'avance et regarde le bout de bras. Silence des autres,

Dorianne : Et bien voilà. J'imagine que vous êtes contents maintenant. Dorianne, une fois de plus, qui essaie de s'en sortir et qui finit par se ramasser en beauté. Ça vous plaît hein ?

Rémy : Tu sais Dodo, on est tous un peu dans le même cas…

Dorianne : Ne m'appelle pas Dodo, s'il te plaît. (Un temps) Et puis comment tu fais pour être toujours aussi gentil . Tu n'as jamais envie de gueuler, de leur cracher dessus à tous ? Ils me débectent, avec leurs faces de Wilson-Fony méprisantes et vérolées.. Vous me débectez tous !

Rémy : Calme toi Dorianne. Calme toi.

Dorianne : Je ne pensais pas que tu allais finir ici Rémy. Vraiment. Tu as toujours été si bon. C'est pour ça que j'ai dit à Larry de reboucher le trou même si tu étais encore dedans. J'étais persuadée que tu monterais au Paradis.

Rémy : Ben non. C'est une erreur. Ca arrive des fois.

Dorianne : C'est comme pour moi. J'allais enfin pouvoir vivre, sereine, tranquille, libérée de tout poids… (elle ramasse le bras) Mais non ! Pas pour Dorianne. Une fuite de gaz et tout part en fumée.

Tante Lara : Dorianne, ma fille, ça suffit ! Tu vas te calmer maintenant.

Dorianne : Me calmer ? Tu penses vraiment que je peux me calmer ? Toute ma vie a été une longue suite d'erreurs ! Depuis le jour où tu m'as crachée au monde, vous m'avez tous pourrie la vie. Toi, Fargo, tu as passé notre enfance à m'humilier, à me torturer.

Fargo : (Air facile) Attends, Dorianne…

Dorianne : Oui, bien sûr, c'est facile maintenant, ce n'était que des jeux de gosses. Tu parles ! Toutes ces souffrances que j'ai du apprendre à ravaler, parce que madame Lara ne voulait pas entendre que son fils prodigue s'amuser à brûler sa sœur à coup de cigarettes. Et encore, je reste dans la version light.

Tante Lara : Tu ne trouves pas que tu exagères un peu.

Dorianne : Moi j'exagère ! (elle montre Majordome Dom du doigt) Et lui, là bas, il n'a pas exagéré tu crois.

Tante Lara : Je ne vois pas de quoi tu parles.

Dorianne : T'inquiète, je vais te le rappeler. Les tripotages permanents qu'il me faisait. Tu croyais quoi, qu'il ne s'intéressait qu'aux soubrettes ? Que ça ne se reproduit qu'avec ses semblables? Imagine un seul instant la terreur dans laquelle je vivais. Tous les matins, quand je me réveillais, c'est lui que je voyais en premier. Je savais qu'il serait en bas, dans la grande salle, pour faire son service. Ça me prenait à la gorge et au cœur. Et ça ne me lâchait plus.

Tante Lara : Tu…tu racontes n'importe quoi ! Tu en rajoutes.

Dorianne : J'en rajoute ? Mais regarde toi, espèce de caricature. La seule vérité c'est que tu ne m'as jamais aimé. Jamais.

Tante Lara : C'est faux…c'est ton petit frère que j'aimais le moins.

Rémy : Beuh !

Dorianne : Mais même lui, quand tu disais le détester, tu lui accordais plus d'importance qu'à moi. Tu ne m'as jamais vue. Et…et tu m'as enlevée notre père. Mon père.

Tante Lara : Tais-toi, tu sais très bien que votre père est mort pendant son entraînement d'alpiniste.

Fargo : C'est vrai ça Dorianne, tu ne vas dire le contraire. C'était un accident. Stupide certes, mais un accident quand même.

Dorianne : Mais réveille toi pauvre abruti ! Comme si Papa avait pu s'enfermer tout seul dans le congélateur !

Tante Lara : Tais-toi Dorianne ! Tu vas trop loin maintenant.

Dorianne : Et comment tu vas m'arrêter ? Tu vas me tuer ? Je ne vois pas de réfrigérateur là. Même pas une petite glacière. À moins que le meurtre de ton mari t'ait suffit. Après tout, c'est toi qui m'as montré la voie à suivre, en matière de mariage. Une fois qu'on en a assez, scouic, on refroidit l'époux.

Tante Lara : (De plus en plus mal) Arrête !

Fargo : (dépité) C'est vrai…Tu l'as vraiment fait ?

Tante Lara : Arrête…

Dorianne : Ne vous voilez plus la face. À part Rémy et le nain, vous avez tous votre place en enfer. Et moi tout autant que vous. Sauf que moi, j'ai eu le courage de regarder les choses en f ace, et d'accepter ma propre horreur. (Un long silence puis elle se tourne vers Asmodée) Et toi là, qu'est ce que tu as fait ?

Asmo : Holà ! Je veux bien croire que vous ayez eu une enfance difficile, mais moi, je n'y suis pour rien. Et de toute façon, ce n'est pas une raison pour tuer les gens, une enfance difficile. Remarquez, c'est quand même ce qui nous fait marcher le plus.

Dorianne : Vous êtes le bourreau c'est ça ? Vous nous avez tous réunis est maintenant vous allez nous laisser nous entredéchirer pour l'éternité. Comme huis clos, ça a un petit goût de déjà vu, vous ne trouvez pas ?

Le notaire : Mais qui vous dit que c'est déjà fini ?