Post Mortem
Une tentative theatrale de John C. Fink

 

  Scène 1

 

La scène reprend l'intérieur d'une boîte de nuit kistch bien connu des amateurs de sorties nocturnes de la côte d'azur. L'enseigne au fond en précise d'ailleurs le nom :

LE MACUMBA NIGHT

La scène est composée d'un canapé bas et deux sièges assortis, arrangés autour d'une table basse. Boule disco au plafond, gros cendars sur la table.
Au fond, deux portes se font face. D'un côté, l'entrée VIP, encadrée par une guirlande clignotante. De l'autre, une porte réservée au personnel.
En fond sonore, on entend un bruit sourd et monotone, genre transformateur électrique. Puis le bruit se transforme soudain en une violente décharge électrique. Qui dure.
Silence quelques secondes. Puis la porte à guirlande s'ouvre dans un petit jingle aussi guilleret que décalé.
Une vieille dame entre sur scène. Elle porte une robe bourgeoise carbonisée, et de la fumée tourbillonne encore autour de ses cheveux. Air hagard.

 

Tante Lara : Mais qu'est-ce qui se passe…? Un temps. Elle regarde autour de soi. Le Macumba Night? Qu'est-ce que je fais là ?… Un autre temps. Elle s'inspecte de près. Et dans quel état je me trouve ? Ma tenue Herbès est toute foutue. Un autre temps. Elle s'installe. Qu'est-ce qu'il fait chaud ! Encore un truc pour nous obliger à consommer. À moins que… Elle réfléchit… Non, ce n'est pas possible. Un temps. Ce doit être une erreur. Elle regarde autour d'elle. Et la décoration est d'un mauvais goût Un temps. C'est forcément une erreur. Je vais demander à rentrer chez moi, au manoir. Elle appelle. Service ! S'il vous plaît ! Quelqu'un !

La seconde porte du fond, celle de service, s'ouvre. Un homme assez grand et musclé en jaillit. Il est en tenue traditionnelle du samedi soir dans le sud : marcel blanc, chaîne, gourmette, lunettes de soleil sur tête gominée, boots compensées, pantalon moulant. Il rentre en finissant de sortir sa chemise de son pantalon.

Asmodée : Oui! Ça va, j'arrive, il n'y a pas le feu non plus !

Tante Lara : Tout de même.

Asmodée : Asmodée à votre service. Mais tout le monde m'appelle Asmo.

Tante Lara : Enchanté Asmodée. Je suis Madame…

Asmodée : Il la coupe Madame veuve Lara Wilson-Fony ! Bienvenue en enf…

Tante Lara : C'est elle qui le coupe. Ah non pas du tout ! Enfin oui, je suis bien Madame Lara Wilson-Fony, mais je ne peux pas être… elle a du mal… je ne peux pas être…enfin, vous voyez bien jeune homme.

Asmodée : Oui justement je vois bien. Et si vous êtes ici, c'est que vous êtes mor…

Tante Lara : Non ! Je vous assure que c'est impossible. Ce doit être erreur. Il suffit de demander à la direction, un peu plus haut… Il la coupe

Asmodée : Un peu plus bas. Et ça ne changera rien Madame. On ne se trompe jamais.

Tante Lara : (Abattue par la nouvelle.) Mais qu'est ce qui s'est passé alors ? Il y a 10 minutes, j'étais encore chez moi, bien à mon aise. On avait passé l'après midi à jouer au bridge avec Madame Warmwood. J'avais encore gagné d'ailleurs. (Un temps). Vous êtes surs que ce n'est pas une erreur ? Vous ne vous trompez jamais ? Même avec toutes ces histoires de tunnel avec de la lumière au bout ?

Asmodée : Non, ça c'est des cagades Madame.

Tante Lara : Ah bon, ça n'arrive jamais ?

Asmo : Ah si si ! Mais c'est juste pour déconner. Et puis, ça vous aide à faire croire en l'après. Les gens sont moins stressés quand ils arrivent. C'est comme le coup des échantillons avant achat.

Tante Lara : Hum (Un temps puis blasé) Mais alors qu'est ce qui s'est passé ?

Asmo : (Il tire un palm de sa poche arrière) Ne vous en faites pas. On va regarder ça tout de suite. (Il pianote deux, trois touches.) O cagôle !

Tante Lara : Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Asmo : (Il continue de pianoter) Vous habitiez bien dans un manoir, c'est ça ?

Tante Lara : Oui !

Asmo : Et vous dormiez à l'étage, celui avec le grand escalier ?

Tante Lara : Oui, mais je n'ai pas pu tomber dedans. J'ai fait installer un système pour éviter ça. C'est un siège qui me remonte automatiquement le long de la rembarde.

Asmo : (Il acquiesce, compatissant.) Ben ouais…c'est ça…Un sale court-circuit d'après mes infos…

Tante Lara : Mais…maintenant que vous le dîtes. J'étais en train de remonter, et puis à mi parcours …il y a eu ce grand éclair bleu...ô mon Dieu !

Asmo : Houla ! Doucement avec les grands mots !

Tante Lara : Mais alors ça veut dire que …que je suis un peu morte.

Asmo : un peu beaucoup ouais ! Mais vous allez voir, on s'habitue vite. Je vais bientôt recevoir votre revue de décès, ça va vous aider à réaliser.

Tante Lara : Ma revue de décès ? Qu'est ce que c'est que cette horreur ?

Asmo : En général, les gens aiment bien. C'est un petit compte rendu de votre enterrement, avec un recueil des meilleurs condoléances. Le tout en son home stéréo avec un putaing de dolby numérique.

Tante Lara : Ah bon…c'est bien.

Asmo : Ça ne devrait plus tarder maintenant.

Tante Lara : Tout de même. Comment cet appareil a pu exploser comme ça, d'un coup? Il était presque neuf.

Asmo : (Tout en lorgnant son palm.) Il n'a pas explosé Madame. C'est un court-circuit.

Tante Lara : Oui, enfin le résultat est le même. Je me retrouve ici, en nuisette cramée.

Asmo : Le résultat oui, mais la cause…

Tante Lara : Quoi la cause ? Qu'est ce que vous voulez dire ?

Il ne répond pas. Il hausse juste les épaules.

Tante Lara : Quoi ! Qu'est-ce que vous insinuez ? Ce n'était pas un accident ?

Il ne répond pas. On comprend qu'il ne peut pas parler, mais il tourne les mains genre ça y est tu chauffes.

Tante Lara : C'est ridicule ! Pourquoi voudriez-vous qu'on me tue ? Moi, une gentille grand-mère , si douce, si proche des siens.

Un long temps. Elle regarde si Asmodée est convaincu. Il la regarde genre « tu charries ».

Tante Lara : Vous n'avez pas une petite idée.

Un nouveau temps puis il fait juste signe de monnaie avec les pouces.

Tante Lara : J'en étais sûre ! L'automatic chair était garanti 10 ans sans panne ! On l'a saboté ! À tous les coups c'est Dominique, mon majordome.

Asmodée : Le majordome Dom ?

Tante Lara : Il ne m'a jamais aimé. Toujours à me regarder de son air hautain, avec ses « oui, madame », «  Bien, madame », «  Tout de suite madame ». Elle les dit d'un ton sec.

Asmo : Ce n'est pas pour cela que vous l'aviez engagé ?

Tante Lara : Bien sûr que oui, mais un vrai majordome présente mieux les choses. Il sait se montrer inférieur mais sans vous gêner. Il dit «  Oui madame-euh », « Tout de suite mâdâme-euh », « bien madame »Elle le dit cette fois d'un ton aussi mielleux que ridicule. Il doit être bien content à l'heure qu'il est, ce sale pauvre.

 

 

Scène 2

 

La porte enguirlandée du fond s'entrouvre soudain dans le même tintement ridicule qui précédait l'entrée de Tante Lara. Asmodée et Tantine se retourne. Un majordome en tenue fait son entrée. Il est pâle et porte une corde de pendu autour du cou.

Tante Lara : Dominique ? Mais qu'est ce que vous faîtes ici ?

Majordom Dom : (Sur le ton mielleux de la Tante tout en étant surpris). Mâdâme ?! Vous êtes encore…encore ?

Tante Lara : Non je ne suis pas encore... Et vous non plus mon brave majordome. Ce qui me surprend le plus agréablement du monde !

Majordome Dom : Ah ? Certes ! Il me semblait aussi que cette cravate dénotait avec le reste de ma tenue. Il se reprend et regarde autour de lui. Alors c'est comme ça la mort ? Je voyais ça beaucoup plus putride et poussiéreux.

Asmodée : Oh ! On n'est que dans l'antichambre ici. On a plein de salons beaucoup plus raffinés derrière. (Il montre la porte par où il est entré) Mais il n'y a rien qui presse hein ? On a tout notre temps !

Tante Lara : Et oui ! Comme quoi vous n'aurez pas beaucoup profité de votre crime.

Majordome Dom : (Gêné) Je vous demande pardon Mâdâme ?

Tante Lara : Ne faites pas l'innocent Dominique. Asmodée m'a tout avouée. Vous m'avez fait griller comme une vulgaire condamnée texane.

Majordome Dom : Moi Mâdâme ? Je crains qu'il n'y ait une erreur. Je ne sais même pas comment je suis arrivé ici. J'étais en train de souper à la cuisine, de retour de votre enterrement. Un excellent potage de poireaux. Puis plus rien. Le noir. Et cette porte.

Asmodée : Depuis le temps que je dis à tout le monde de se méfier du poireaux. Voyons voir ça… (Il pianote) Voilà ! Vous êtes mort par pendaison.

Tante Lara : (Surprise) Par pendaison ?

Majordome Dom : Ah bon ? Je ne me souviens de rien pourtant ! Vous êtes certains de vos sources ?

Tante Lara : Ils ne font jamais d'erreur.

Asmo : (Il acquiesce) Hü Hü !

Tante Lara : Par contre, je suis ravie de m'être trompée à votre sujet. À peine votre maîtresse décédée, vous vous suicidez, incapable de résister au chagrin. Je n'avais vu ça que chez les animaux jusqu'à présent.

Majordome Dom : J'ai même hésité à gratter la tombe de Madâme pendant la cérémonie. Trêve de plaisanterie, monsieur…

Asmo : Asmodée. Mais tout le monde m'appelle Asmo.

Majordome Dom : Monsieur Asmo. Je ne me souviens vraiment pas m'être pendu. (coup d'śil à Lara) J'étais certes chagriné par le décès de la vioque, mais de là à aller me balancer sous un lustre…

Asmodée : (Il regarde Tante Lara, qui s'est retirée à l'écart, choquée par les paroles de son Majordome.) Je vais vérifier. (Il pianote) Effectivement. Il y a du nouveau Dom Dom ! (Il lit) Il devait avoir un sale goût votre potage, en dehors du poireau.

Majordome Dom : Comment cela ?

Asmodée : Le fond de sauce était relevé au destop.

Majordome Dom : Au destop ? Vous parlez bien du produit…

Asmodée : Ouaip ! Le truc qui siphonne les cogues en deux sept. On l'utilise pas mal ici (il montre du doigt la porte du fond). Par contre, sur terre, c'est plus original. Vous ne confondez pas les produits nettoyants et l'huile d'olive d'habitude ?

Majordome Dom : Bien sûr que non ! C'est forcément quelqu'un qui s'est trompé …

Asmodée : Ou qui craignait pour la propreté des assiettes à soupes…

Majordome Dom : Mais qui peut m'en vouloir à ce point ?

Tante Lara : (Elle revient vers les 2) C'est très à la mode comme question en ce moment.

Asmo : Une petite soubrette déçue ? Ça n'avait pas l'air de vous déplaire à l'époque.

Majordome Dom : Je ne vous permets pas. (Un temps) Aucune n'a jamais été déçue.

Asmodée : C'est peut-être un des convives de l'enterrement alors ? Pendant la cérémonie n'importe qui pouvait s'introduire dans la cuisine.

Tante Lara : (Touchée.) Oooh, comme c'est touchant ! Mes petits ont pu m'enterrer dans le jardin, comme je leur avais demandé.

Majordome Dom : Enterrer, enterrer…

Asmo : Disperser conviendrait mieux.

Tante Lara : Quoi ! Ces bâtardons m'ont fait incinérer ?

Majordome Dom : C'était beaucoup plus économique Madâme.

Tante Lara : Comme s'ils avaient besoin de faire des économies, avec l'héritage que je leur laisse ! Ah, les petites fientes, j'aurai du tout léguer à Maréchal, mon chat.

Majordome Dom : Ca nous aurait peut-être évité bien des ennuis…

Tante Lara : Qu'est ce que vous voulez dire par là ?