Petit Ciel

Avec Sebolo

 

1

 

Il y a bien longtemps, dans un pays lointain, vivait un garçon appelé Petit Ciel. De tous les enfants de son village, il était de loin le plus petit qu'on n'ait jamais vu. Au point que les gens manquaient de s'asseoir sur lui ou de le faire décoller en éternuant dans son dos. Pire encore, à cause de sa petite taille, Petit Ciel ne pouvait même pas protester. Lorsqu'il essayait, les gens entendaient bien une voix mais ils ne trouvaient jamais d'où elle venait.

Il avait eu beau tout essayer pour grandir rien n'y avait fait : ni les soupes de bambous ingurgitées le nez pincé, ni les heures suspendues par les pieds aux branches des pins ne lui avaient fait gagner le moindre millimètre.

Comme disait Grand Ciel, son père, « Petit il était né, et petit il resterait ».

Petit Ciel était ainsi condamné à écouter les paroles des grands sans pouvoir intervenir. Mais ce qui ressemblait fort à une terrible malédiction se transforma au fil du temps en un précieux avantage. A force de tendre l'oreille vers les adultes, Petit Ciel affina son ouïe de manière extraordinaire et se mit à entendre tous les bruits qui filaient au dessus de son chapeau.

Les patati et patata de la vieille commère du village lui parvenaient clairs et distincts. A tout moment, il était capable de suivre les Bla blabla bla de n'importe quelles discussions, qu'elles se tiennent à côté de lui ou à l'autre bout du village. Et lorsque les voix des hommes n'eurent plus de secret pour lui, il se tourna vers les bruits des bois et de ses animaux. 

Dès le petit matin, alors que la brume enveloppait encore les bois, il écoutait les Schromf schromf du panda qui mâchouillait ses premières pousses, le frr frr du vent du sud qui fredonnaitses promesses de chaleur ou les prroott prroott des Yacks tout là haut dans les pâturages, vite suivis par les beeeurrk beeuurk cris dégoûtés des bergers .

Pourtant Petit Ciel ne se rendit vraiment compte de son ouïe exceptionnelle que le matin où il entendit les étoiles parler entre elle.

 

 

2

Sa première rencontre avec les étoiles eut lieu à la fin de l'été. Petit Ciel avait pris l'habitude de se lever tôt pour faire sa toilette sans risquer d'être bousculé. Ce matin-là, alors que la nuit s'accrochait encore à la cime des montagnes, il se tenait déjà au bord de l'étang, bercé par le lent balancement des roseaux.

Mais alors qu'il s'apprêtait à plonger ses mains dans l'eau fraîche, il fut interrompu par un long bâillement, juste derrière son épaule. Il se retourna vite mais constata avec étonnement qu'il n'y avait personne. Chose plus étrange encore, la voix qu'il venait d'entendre ne ressemblait à aucune de celles qu'il connaissait au village.

J'ai sans doute rêvé, se dit alors Petit Ciel. Il est vraiment temps que je me rafraîchisse les idées, ajouta-t-il, en se penchant sur la berge sableuse. Et tandis que son visage se dessinait à la surface de l'eau, Petit Ciel comprit d'où était venu le bâillement. Quelques centimètres au dessus de son reflet, les dernières étoiles de la nuit scintillaient dans la lumière pâle de l'aube. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, elles parlaient entre elles.

-   Quelle nuit ! Mais quelle nuit ! Je suis é-pui-sée ! lança la première, une étoile ronde et jaune, avant de terminer par un nouveau bâillement.

- Ne m'en parle pas ! J'ai dû briller de toutes mes forces pour guider les jonques de l'Empereur. Elles s'étaient égarées le long des côtes du Sud, celles avec les escarpements et les éperons rocheux, répondit la seconde, plus fine et plus blanche.

- Et tu as réussi à les sortir de là ? bâilla la plus ronde qui avait décidément l'air très fatiguée.

- De justesse ! Alors que tout se passait bien, ces vauriens de nuages n'ont pas pu s'empêcher de s'interposer, reprit la blanche.

- Toujours là quand il ne faut pas ceux la ! ajouta la ronde.

- Heureusement que le vent de l'Ouest ait venu m'aider. Tu aurais vu comme il les a chassé ! D'un seul souffle, comme de vulgaires pissenlits. Et après ça, j'ai pu ramener tout le monde à bon port, termina l'étoile blanche.

-Et bien moi, j'ai passé la nuit à orienter une caravane de marchands dans les plateaux du Nord enchaina l'étoile ronde. Et j'ai dû briller, mais briller ! A croire que leur pilote roupillait sur son cheval !

-Ca serait quand même plus simple si les humains pouvaient nous entendre…soupira alors l'étoile blanche.

A cet instant, Petit Ciel qui n'avait pas bougé depuis le début de la conversation, tressaillit tout entier. Et s'il essayait  de leur répondre ? Que se passerait-il ?

Encore hésitant, Petit Ciel se redressa. Il entendait les badaboum badaboum de son cœur qui tambourinait dans sa poitrine. Surmontant son appréhension, il s'éclaircit la voix et tenta d'engager la conversation :

•  Euh…Excusez-moi mesdames les étoiles…mais je vous entends moi…

Petit Ciel avait à peine fini de prononcer ces paroles que les deux étoiles s'illuminèrent dans un schkinkl schkinkl étincelant. La plus jaune vira même à l'orange, un court instant.-Tu..tu as entendu ? dit la plus ronde.

- On..on nous a répondu ! s'extasia la plus fine.

- Ouh ouh ! Vous nous entendez ! VOUS NOUS ENTENDEZ ! se mit à hurler la plus ronde, en sautant sur place.

- Vous …vous aussi alors … vous m'entendez aussi ! C'est incroyable ! s'écria Petit Ciel.

- C'est toi qui es incroyable ! Tu es le premier homme qui soit capable de nous répondre ! dit l'étoile la plus blanche.

- Ca ! Pour nous observer à la lunette ou nous décortiquer au sextant, y'a du monde…Mais pour nous écouter, on n'a jamais trouvé personne ! reprit la plus ronde.

- Excuse Kalé ! Elle en fait toujours trop ! Mais il faut dire que depuis le temps que nous sommes là, on attendait ce moment avec impatience, continua l'étoile blanche. Je m'appelle Tsenmo au fait!

- Et moi Kalé qui-en-fait-toujours- trop …ajouta l'étoile ronde.

- Et moi Petit Ciel, répliqua le petit garçon qui n'en revenait toujours pas. 

- Quelle chance de t'avoir rencontrer Petit Ciel ! continua Tsenmo. Nous allons enfin pouvoir guider un homme par la voix !

- Finies les nuits glaciales à briller de mille feux ! Ou les constellations acrobatiques dans le ciel ! s'enthousiasma Kalé, qui ne semblait plus du tout fatiguée.

- Et bien, je ne sais pas si j'ai besoin d'être guidé glissa Petit Ciel, désireux de ne pas briser la joie de ses interlocutrices mais si jamais cela m'arrive, je ferai immédiatement appel à vous poursuivit-il rapidement.

- J'espère bien ! se rembroua Kalé.

- N'hésite pas Petit Ciel ! N'hésite pas ! poursuivit Tsenmo. Même si tu veux juste discuter, nous serons toujours ravis de te répondre.

- Ce sera avec le plus plaisir s'écria Petit Ciel, plein d'espoir.

- Alors à bientôt Petit Ciel ! Car le jour est entrain de se lever et il est temps pour nous de nous reposer, acheva Tsenmo dans un dernier souffle.

Dans un flamboiement orangé, le soleil apparut à l'horizon et chassa de sa lumière les derniers recoins de nuit pâle. Les yeux encore brillants de cette incroyable rencontre, Petit Ciel regarda les deux étoiles s'endormir dans le jour nouveau. Pour la première fois, une autre personne que son père avaient fait attention à lui. Le cœur léger, il finit sa toilette et reprit le chemin du village, bien décidé à l'aider au mieux avec son troupeau.

 

 

3

De tous les bergers qui vivaient sur les Hauts plateaux, Grand Ciel, le père de Petit Ciel, était de loin le meilleur et possédait le plus grand troupeau de Yacks de la région. Il connaissait tous les chemins qui menaient aux pâturages, repéraient les loups avant même qu'ils aient eu le temps de s'approcher et savait de quoi souffrait une bête rien qu'en posant sa main sur son flanc. Son talent était à la mesure de son bâton, une longue corne de yack gravée au gré des ballades que lui enviait tous les bergers jaloux.

En ces contrées montagnardes, le Yack, et la Dri, sa femelle, étaient en effet les uniques bêtes capables de résister aux longs mois d'hivers. Bien à l'abri sous leurs épaisses couches de laine, elles laissaient le vent du Nord souffler ses bourrasques de neige et attendaient le dégel pour s'ébrouer un bon coup.

Leur vie rythmait celles des villageois et Petit Ciel, qui les fréquentait depuis son plus jeune âge, en connaissant tous les bruits : leurs bouches faisaient broout broout en mâchant l'herbe grasse, le ventre Gargouil gargouil en la digérant et leur pelage pouss pouss en la transformant en laine épaisse.

Mais parmi les innombrables bêtes du troupeau, l'une d'entre elle différait de ce paisible modèle. Yaktilla, puisque c'était son nom, était en effet né avec un pelage aussi étincelant que l'or et aussi doux que la soie. Personne ne connaissait l'origine d'une telle laine mais tout le monde rêvait d'en posséder une pelote.

Et face à tant d'envie et de considération, Yaktilla prit vite conscience de sa valeur. Son importance lui monta aux cornes et il demanda un traitement de faveur : son herbe devait lui être servie coupée et prémâchée. Il voulait également qu'on le porte dans les passages trop escarpés et il exigeait un éventail les jours de grandes chaleurs ou un parapluie lorsque que le ciel menaçait. Grand Ciel, trop gentil, n'avait malheureusement pas su refuser ses exigences. Et à force d'être flatté et gâté, le caractère du Yak le fut aussi.

Du coup, dès que le berger avait le dos tourné, Yaktilla faisait les pires coups possibles : il effrayait les Dris en imitant les loups, conduisait les autres yaks au rebord des ravins ou se cachait pendant des heures dans les fourrés d'épineux. Mais son souffre douleur favori restait Petit Ciel. Yaktilla ne supportait en effet pas que le petit garçon ait réussi à entendre son véritable caractère. Et il ne se passait pas une journée sans qu'il tente de lui jouer un mauvais tour.

Heureusement, Petit Ciel restait sur ses gardes, les oreilles à l'affût car il connaissait tous les signes annonciateurs d'une attaque du Yack : ses sabots faisaient toujours Graat graat sur le sol avant de décocher une ruade ; ses naseaux soufflaient Grumf Grumf à chaque fois lorsqu'il allait charger et ses dents grinçaient immanquablement Niark niark quand il s'approchait par derrière. 

Yaktilla avait ainsi beau s'acharner, il ne parvenait jamais à attraper le petit garçon.

Malheureusement, un matin brumeux d'automne, Grand Ciel ne réussit pas à se lever. Une douloureuse entorse le condamnait au lit. La veille, il avait dû poursuivre Yaktilla le long d'un torrent dans lequel il voulait s'admirer à tout prix. Les parois en étaient escarpées et Grand Ciel s'était foulé la cheville dans un éboulis. La longue marche pour revenir au village avait encore accentué la blessure et le berger était désormais incapable de poser le pied au sol.

Bien pire encore que la douleur, cette foulure posait à Grand Ciel le problème de la garde du troupeau. Il fallait absolument sortir les yacks et il ne voyait pas à qui confier un tel travail. Les autres bergers avaient déjà bien assez affaire avec leurs propres bêtes, sans parler de Yaktilla qui réclamait à lui seul l'attention d'un troupeau de gardiens…

Petit Ciel qui était resté au pied du lit de son père toute la nuit, prit alors la parole.

- Je peux peut-être essayer moi dit-il tout doucement.

- Toi ? répondit Grand Ciel comme s'il venait juste de s'apercevoir de la présence de son fils.

- Oui moi ! Tu m'as tout appris du troupeau et des chemins qui grimpent aux pâturages. Quant à Yaktilla, je crois que je le connais mieux que n'importe quels autres bergers !

- Par les cornes du grand Yack ! Je dois bien avouer que tu es le seul en qui j'ai toute confiance répliqua Grand Ciel. Mais comment vas-tu faire  ? Cela te prendra beaucoup trop de temps !

- Laisse moi partir de nuit ! répliqua Petit Ciel soudain traversé par une idée.

­- Tu n'y penses pas ! C'est bien trop dangereux !

•  Je t'en prie papa ! C'est la seule solution ! Je ne peux pas te dire pourquoi mais je t'assure que tout se passera pour le mieux termina Petit Ciel.

Un long silence s'installa entre eux. Les yeux dans ceux de son père, le petit garçon écouta alors le cheminement de ses pensées : il suivit le Kreuz kreuz de ses méninges qui cherchaient une autre solution ; le fronss fronss de ses sourcils qui imaginaient le pire  et le Yep Yep de ses yeux qui acquiescèrent enfin.

- Et bien soit Petit Ciel. Tu sortiras au milieu de la nuit avec les bêtes.

Deux courtes phrases à la taille de Petit Ciel qui le remplirent pourtant de joie et d'impatience.

 

4

Au beau milieu de la nuit suivante, tandis que les dernières braises finissaient de rougeoyer dans les cheminées du village, Petit Ciel partit avec le troupeau.

La plupart des yacks s'étonnèrent de se lever aussi tôt mais seul Yaktilla trouva à redire. Il ne manqua pas de se plaindre du réveil brutal, du manque de sommeil et des conséquences sur la pousse de sa laine. Le petit berger fit mine de l'écouter et veilla surtout à la bonne conduite du troupeau.

Lorsqu'ils parvinrent aux sentiers qui grimpaient vers les pâturages, Petit Ciel arrêta les bêtes. La nuit recouvrait tout d'un bleu profond et un silence apaisant flottait dans les airs. Dans le ciel, les étoiles scintillaient de mille éclats. Debout sur une vieille souche, Petit Ciel en contemplait la beauté infinie. Bien évidemment, Yaktilla ne put s'empêcher de maugréer.

-  Et bien ça y est ! On est perdu ! ricana-t-il. Quelle idée aussi de faire confiance à un berger aussi minuscule ! C'est à peine si on le distingue au milieu du troupeau !

-  Ne l'écoutez pas répondit Petit Ciel. Vous ne risquez rien du tout. Je vais demander aux étoiles de nous guider.

-  Les étoiles ! Rien que ça ! On est mal là, on est très mal ! se moqua le Yack, commençant par là même à inquiéter les autres bêtes du troupeau. Petit Ciel, lui, gardait confiance. Il se tourna vers les étoiles et les interpella :

-  Kalé ! Tsenmo ! Excusez-moi de vous déranger mais j'aurais besoin de votre aide dit-il avec assurance.

Mais en guise de réponse, il n'entendit que le wwwuu wwwuu du vent dans les racines de sa souche.

-  Vous voyez bien qu'il est fou : il parle tout seul ! s'exclama Yaktilla. Qu'est-ce qu'il fera face aux loups ? II leur chantera des chansons ?

Un frisson traversa le troupeau. Et si Yaktilla avait raison ? Petit Ciel, un peu désemparé, se retourna de nouveau vers les cieux, dressé sur la pointe des pieds.

-  Euh…Kalé ? Tsenmo ? Vous êtes là ? cria-t-il mal à l'aise.

Pas plus que la première fois les étoiles ne lui répondirent et seuls les niark niark de Yaktilla résonnèrent dans l'obscurité.

-  Bien ! Puisqu'il n'y a pas de berger pour nous diriger, c'est moi qui prends la tête du troupeau ! décréta Yaktilla, un sourire mesquin en travers du visage. Direction l'étable ! On rentre se coucher ! Les randonnées nocturnes, c'est bon pour les moutons! dit-il en faisant demi tour et en se mettant à marcher droit devant lui.

Les autres yacks le regardèrent un instant, puis l'un après l'autre, sans vraiment réfléchir, ils lui emboîtèrent le pas.

Malheureusement pour eux, Yaktilla, inconscient du danger, les entraînait vers un précipice abrupt.

- Arrêtez ! cria alors Petit Ciel. Il ne faut pas aller par là ! C'est dangereux !

- Tiens ! J'ai cru entendre une voix ironisa Yaktilla en continuant à avancer vers la falaise.

Petit Ciel ne savait plus quoi faire. Il tentait en vain de rappeler les yacks et de les retenir par les crins de leur laine. Mais il entendait déjà l'écho de leurs pas se perdre dans les profondeurs du ravin. Plus que quelques mètres et ils plongeraient tous dedans.

- Les villageois avaient raison ! Je ne suis qu'un petit bonhomme misérable ! Comment ai-je pu croire que je saurai guider le troupeau ? gémit Petit Ciel.

Ses dernières paroles s'envolaient à peine qu'une lumière éblouissante illumina la falaise.

- Désolé pour le retard dit la voix de Tsenmo.

- On avait rendez vous avec un astrologue pour des prédictions ajouta Kalé.

Un sourire rassuré au visage, Petit Ciel leva la tête et découvrit les deux étoiles au dessus de lui. Leur clarté tombait du ciel comme une cascade. Les yacks, éblouis par une telle beauté, s'étaient immobilisés et découvraient avec horreur le gouffre auquel ils venaient d'échapper.

-  Maintenant que vous êtes là, tout va bien se passer s'écria Petit Ciel. Nous allons pouvoir grimper sans crainte vers les hauts plateaux ! 

- Comptes sur nous ! Nous allons éclairer ton chemin et te prévenir des dangers lui répondit Tsenmo.

- Et je m'occuperai personnellement de Yaktilla poursuivit Kalé en braquant un de ses rayons lumineux droit sur le yack. Au moindre faux pas, je lui roussis le poil !

La suite de l'ascension fut alors des plus aisée. Petit Ciel, aidé par les deux étoiles, conduisit l'immense troupeau de Yacks jusqu'aux hauts pâturages et les ramena sans encombre jusqu'au village.

Et pour la première fois depuis sa naissance, Yaktilla ne prononça pas la moindre petite plainte, trop terrorrisé à l'idée que Kalé puisse abîmer son incomparable pelage.

 

5

 

Le lendemain matin, les villageois qui discutaient sur la grande place n'en crurent pas leurs yeux. Alors que le soleil se hissait à peine au dessus des cimes, le troupeau de Grand Ciel étaient déjà de retour. Plus incroyable encore, Petit Ciel était à leur tête.

Personne n'aurait jamais pensé qu'un si petit bonhomme arriverait à mener autant de bêtes. Pourtant il fallait à se rendre à l'évidence : pas un seul yack ne s'était égaré ou n'avait été croqué par un loup. Même Yaktilla semblait étrangement calme et son pelage était plus éclatant qu'à l'ordinaire (ce qui était bien le cas après une nuit entière à bronzer sous les rayons de Kalé).

Lentement, Petit Ciel entendit alors gonfler les Rooh rooh de stupéfaction, suivis des clap clap clap d'admirations et des hourrah hourrah de félicitations.

Néanmoins, rien ne lui remplit le cœur d'autant de fierté que l'apparition de son père au milieu de la foule. Appuyé sur des béquilles, Grand Ciel le regardait avec admiration, un sourire ému aux lèvres. Puis il s'avança avec précaution et, dans un geste grave, il tendit à Petit Ciel son bâton en corne.

- Il est à toi désormais dit-il. Tu le mérites entièrement. Petit Ciel s'en saisit, les mains tremblantes. Et la clameur des Bravo bravo souleva la place toute entière.

A partir de ce jour, le quotidien de Petit Ciel changea du tout au tout. Les villageois se mirent à lui parler et à faire attention quand ils s'asseyaient. De nombreux bergers demandèrent même au petit garçon de garder leurs yacks et Petit Ciel se retrouva à la tête du troupeau le plus gigantesque qu'on n'ait jamais connu. Le Troot troot troot de ses milliers de pattes tonnaient dans toute la montagne ; le Broout Broout Broout de ses milliers de bouches engloutissaient tous les pâturages et le Pouss pouss pouss de ses milliers de pelage transformait les yacks en pelote de laine sur patte et remplissait les étables à ras bord.

Une nouvelle vie avait commencé pour Petit Ciel. Jour après jour, il s'occupait de son père et se reposait ; nuit après nuit, il suivait Tsenmo et Kalé, le long des hauts plateaux et faisait la connaissance des nombreuses autres étoiles qui peuplaient l'horizon.

Et seul Yaktilla trouvait toujours à redire.

 

6

 

Conscient de ce qu'il devait à ses amis les étoiles, Petit Ciel eut envie de leur faire un cadeau. Mais que pouvait-il bien leur offrir ? Du riz au sucre ? Elles n'avaient pas de dents et ne semblaient pas attirées par les friandises. Un pull en laine de Yack ? Bien qu'elles vivent très haut dans le ciel elles ne paraissaient jamais avoir froid. Un bouquet de fleurs des champs ? Elles n'avaient pas de nez ni de mains pour l'attraper.

Une idée illumina soudain son esprit. Lors de leurs discussions nocturnes, Kalé, Tsenmo et les autres étoiles lui demandaient souvent à quoi elles ressemblaient vu d'en bas. Et malgré toutes ses tentatives, Petit Ciel n'avait jamais réussi à leur décrire leur incroyable beauté. Il décida donc de leur organiser un feu d'artifices, afin qu'elles découvrent à leur tour le bonheur de voir des lumières briller dans le ciel.

Les jours suivants, Petit Ciel farfouilla dans le village et réunit tous les ustensiles nécessaires. Les longues tiges de bambous de l'étang serviraient de piquet de lancement, la casserole géante de mémé Tang ferait une très bonne fusée et les restes de laine tressés seraient idéals pour la mèche d'allumage. Quant à la poudre, il attendit que le gros marchand d'artifice ronfle à pleines narines pour aller lui en chaparder un sac.

Une fois prêt, il attendit la nuit, grimpa avec le troupeau sur le Haut plateau et invita toutes les étoiles à le rejoindre. Kalé et Tsenmo étaient bien entendu présentes et attendaient avec impatience la surprise de Petit Ciel.

Elles n'étaient malheureusement pas les seules. Yaktilla aussi observait du coin de l'œil ce que préparait le petit berger. Le yack supportait mal d'avoir perdu son statut de vedette du troupeau. Petit Ciel ne lui passait aucun caprice et il devait désormais marcher tout seul et manger l'herbe à même le sol. Rancunier, il ruminait sa vengeance entre deux touffes.

Aussi, tandis que Petit Ciel remplissait de poudre la casserole de mémé Tang, une idée tordue germa entre les cornes de l'animal : il allait rajouter de la poudre dans le réservoir et transformer le feu d'artifice en dangereux explosif.

Mais pour cela, il lui fallait s'approcher de la fusée sans que Kalé ne le voit ou que Petit Ciel ne l'entende. Aussi discrètement qu'il le pouvait, Yaktilla jeta un coup d'œil vers le ciel. Là-haut, Kalé était en pleine conversation avec une autre étoile et semblait bien trop excitée pour faire attention à lui. Restait Petit Ciel. Comment faire pour le surprendre ? Alors même qu'il se posait la question, la réponse lui fut proposée.

Le petit garçon, sans se méfier une seconde, était entrain de se protéger les oreilles avec des capuchons de laine. Il avait déjà entendu le badaboum des feux d'artifices lors des fêtes de la vallée et il ne voulait pas s'abîmer les tympans.

Yaktilla, les yeux plissés, sauta sur l'occasion. Bravant son dégoût pour la saleté, il se recouvrit de boue et d'herbes sèches et se faufila, ainsi camouflé, jusqu'à la fusée. Là, il attendit que Petit Ciel lui tourne le dos et remplit à ras bord le réservoir de poudre. Puis son méfait accompli, il s'éloigna en sifflotant, mine de rien.

Petit Ciel, qui n'avait rien vu, se retourna et enflamma la mèche.

Sur le Haut Plateau, tout le monde retint son souffle.

Et soudain, dans un fsssh fsssh fsssh acéré, la fusée décolla vers le ciel.

- Ca arrive ! Ca arrive ! criaient les étoiles, surexcitées.

- Bien trop vite ! Bien trop vite ! s'inquiéta Petit Ciel

- J'espère bien ! J'espère bien ! ricana Yaktilla.

Dans un BIGBADABOUM assourdissant, le feu d'artifice explosa en plein vol et illumina la nuit de flammes terrifiantes et de braises folles. Une longue traîne de fumée jaune s'étira dans le ciel comme un nuage malade et des débris brûlés retombèrent de toutes parts.

L'explosion avait été si forte que Petit Ciel en avait été projeté au sol. Recroquevillé en boule, les yeux fermés, les mains sur ses capuchons de laine, il entendait encore la terrible détonation résonner entre les montagnes.

Puis lentement, dans un long bourdonnement, le silence revint.

Un silence beaucoup trop silencieux.

Petit Ciel enleva ses protections et tendit les deux oreilles. Mais ni la respiration des bêtes, ni les intonations cristallines des étoiles ne lui parvinrent. Tous les sons des Hauts Plateaux semblaient avoir été soufflé par l'explosion.

Il ouvrit alors les yeux et vit qu'il était seul : les yacks s'étaient enfuis, effrayé par l'explosion. Puis il leva la tête au ciel et découvrit un spectacle terrifiant : les étoiles avaient disparu, laissant la nuit vide et noire.

Dans le lointain, le ricanement de Yaktilla retentit.

les trois chapitres suivants sont