Petit Ciel

Avec Sebolo

Les trois premiers chapitres sont ici

 

4

 

Au beau milieu de la nuit suivante, tandis que les dernières braises finissaient de rougeoyer dans les cheminées du village, Petit Ciel partit avec le troupeau.

La plupart des yacks s'étonnèrent de se lever aussi tôt mais seul Yaktilla trouva à redire. Il ne manqua pas de se plaindre du réveil brutal, du manque de sommeil et des conséquences sur la pousse de sa laine. Le petit berger fit mine de l'écouter et veilla surtout à la bonne conduite du troupeau.

Lorsqu'ils parvinrent aux sentiers qui grimpaient vers les pâturages, Petit Ciel arrêta les bêtes. La nuit recouvrait tout d'un bleu profond et un silence apaisant flottait dans les airs. Dans le ciel, les étoiles scintillaient de mille éclats. Debout sur une vieille souche, Petit Ciel en contemplait la beauté infinie. Bien évidemment, Yaktilla ne put s'empêcher de maugréer.

-  Et bien ça y est ! On est perdu ! ricana-t-il. Quelle idée aussi de faire confiance à un berger aussi minuscule ! C'est à peine si on le distingue au milieu du troupeau !

-  Ne l'écoutez pas répondit Petit Ciel. Vous ne risquez rien du tout. Je vais demander aux étoiles de nous guider.

-  Les étoiles ! Rien que ça ! On est mal là, on est très mal ! se moqua le Yack, commençant par là même à inquiéter les autres bêtes du troupeau. Petit Ciel, lui, gardait confiance. Il se tourna vers les étoiles et les interpella :

-  Kalé ! Tsenmo ! Excusez-moi de vous déranger mais j'aurais besoin de votre aide dit-il avec assurance.

Mais en guise de réponse, il n'entendit que le wwwuu wwwuu du vent dans les racines de sa souche.

-  Vous voyez bien qu'il est fou : il parle tout seul ! s'exclama Yaktilla. Qu'est-ce qu'il fera face aux loups ? II leur chantera des chansons ?

Un frisson traversa le troupeau. Et si Yaktilla avait raison ? Petit Ciel, un peu désemparé, se retourna de nouveau vers les cieux, dressé sur la pointe des pieds.

-  Euh…Kalé ? Tsenmo ? Vous êtes là ? cria-t-il mal à l'aise.

Pas plus que la première fois les étoiles ne lui répondirent et seuls les niark niark de Yaktilla résonnèrent dans l'obscurité.

-  Bien ! Puisqu'il n'y a pas de berger pour nous diriger, c'est moi qui prends la tête du troupeau ! décréta Yaktilla, un sourire mesquin en travers du visage. Direction l'étable ! On rentre se coucher ! Les randonnées nocturnes, c'est bon pour les moutons! dit-il en faisant demi tour et en se mettant à marcher droit devant lui.

Les autres yacks le regardèrent un instant, puis l'un après l'autre, sans vraiment réfléchir, ils lui emboîtèrent le pas.

Malheureusement pour eux, Yaktilla, inconscient du danger, les entraînait vers un précipice abrupt.

- Arrêtez ! cria alors Petit Ciel. Il ne faut pas aller par là ! C'est dangereux !

- Tiens ! J'ai cru entendre une voix ironisa Yaktilla en continuant à avancer vers la falaise.

Petit Ciel ne savait plus quoi faire. Il tentait en vain de rappeler les yacks et de les retenir par les crins de leur laine. Mais il entendait déjà l'écho de leurs pas se perdre dans les profondeurs du ravin. Plus que quelques mètres et ils plongeraient tous dedans.

- Les villageois avaient raison ! Je ne suis qu'un petit bonhomme misérable ! Comment ai-je pu croire que je saurai guider le troupeau ? gémit Petit Ciel.

Ses dernières paroles s'envolaient à peine qu'une lumière éblouissante illumina la falaise.

- Désolé pour le retard dit la voix de Tsenmo.

- On avait rendez vous avec un astrologue pour des prédictions ajouta Kalé.

Un sourire rassuré au visage, Petit Ciel leva la tête et découvrit les deux étoiles au dessus de lui. Leur clarté tombait du ciel comme une cascade. Les yacks, éblouis par une telle beauté, s'étaient immobilisés et découvraient avec horreur le gouffre auquel ils venaient d'échapper.

-  Maintenant que vous êtes là, tout va bien se passer s'écria Petit Ciel. Nous allons pouvoir grimper sans crainte vers les hauts plateaux ! 

- Comptes sur nous ! Nous allons éclairer ton chemin et te prévenir des dangers lui répondit Tsenmo.

- Et je m'occuperai personnellement de Yaktilla poursuivit Kalé en braquant un de ses rayons lumineux droit sur le yack. Au moindre faux pas, je lui roussis le poil !

La suite de l'ascension fut alors des plus aisée. Petit Ciel, aidé par les deux étoiles, conduisit l'immense troupeau de Yacks jusqu'aux hauts pâturages et les ramena sans encombre jusqu'au village.

Et pour la première fois depuis sa naissance, Yaktilla ne prononça pas la moindre petite plainte, trop terrorrisé à l'idée que Kalé puisse abîmer son incomparable pelage.

 

5

 

Le lendemain matin, les villageois qui discutaient sur la grande place n'en crurent pas leurs yeux. Alors que le soleil se hissait à peine au dessus des cimes, le troupeau de Grand Ciel étaient déjà de retour. Plus incroyable encore, Petit Ciel était à leur tête.

Personne n'aurait jamais pensé qu'un si petit bonhomme arriverait à mener autant de bêtes. Pourtant il fallait à se rendre à l'évidence : pas un seul yack ne s'était égaré ou n'avait été croqué par un loup. Même Yaktilla semblait étrangement calme et son pelage était plus éclatant qu'à l'ordinaire (ce qui était bien le cas après une nuit entière à bronzer sous les rayons de Kalé).

Lentement, Petit Ciel entendit alors gonfler les Rooh rooh de stupéfaction, suivis des clap clap clap d'admirations et des hourrah hourrah de félicitations.

Néanmoins, rien ne lui remplit le cœur d'autant de fierté que l'apparition de son père au milieu de la foule. Appuyé sur des béquilles, Grand Ciel le regardait avec admiration, un sourire ému aux lèvres. Puis il s'avança avec précaution et, dans un geste grave, il tendit à Petit Ciel son bâton en corne.

- Il est à toi désormais dit-il. Tu le mérites entièrement. Petit Ciel s'en saisit, les mains tremblantes. Et la clameur des Bravo bravo souleva la place toute entière.

A partir de ce jour, le quotidien de Petit Ciel changea du tout au tout. Les villageois se mirent à lui parler et à faire attention quand ils s'asseyaient. De nombreux bergers demandèrent même au petit garçon de garder leurs yacks et Petit Ciel se retrouva à la tête du troupeau le plus gigantesque qu'on n'ait jamais connu. Le Troot troot troot de ses milliers de pattes tonnaient dans toute la montagne ; le Broout Broout Broout de ses milliers de bouches engloutissaient tous les pâturages et le Pouss pouss pouss de ses milliers de pelage transformait les yacks en pelote de laine sur patte et remplissait les étables à ras bord.

Une nouvelle vie avait commencé pour Petit Ciel. Jour après jour, il s'occupait de son père et se reposait ; nuit après nuit, il suivait Tsenmo et Kalé, le long des hauts plateaux et faisait la connaissance des nombreuses autres étoiles qui peuplaient l'horizon.

Et seul Yaktilla trouvait toujours à redire.

 

6

 

Conscient de ce qu'il devait à ses amis les étoiles, Petit Ciel eut envie de leur faire un cadeau. Mais que pouvait-il bien leur offrir ? Du riz au sucre ? Elles n'avaient pas de dents et ne semblaient pas attirées par les friandises. Un pull en laine de Yack ? Bien qu'elles vivent très haut dans le ciel elles ne paraissaient jamais avoir froid. Un bouquet de fleurs des champs ? Elles n'avaient pas de nez ni de mains pour l'attraper.

Une idée illumina soudain son esprit. Lors de leurs discussions nocturnes, Kalé, Tsenmo et les autres étoiles lui demandaient souvent à quoi elles ressemblaient vu d'en bas. Et malgré toutes ses tentatives, Petit Ciel n'avait jamais réussi à leur décrire leur incroyable beauté. Il décida donc de leur organiser un feu d'artifices, afin qu'elles découvrent à leur tour le bonheur de voir des lumières briller dans le ciel.

Les jours suivants, Petit Ciel farfouilla dans le village et réunit tous les ustensiles nécessaires. Les longues tiges de bambous de l'étang serviraient de piquet de lancement, la casserole géante de mémé Tang ferait une très bonne fusée et les restes de laine tressés seraient idéals pour la mèche d'allumage. Quant à la poudre, il attendit que le gros marchand d'artifice ronfle à pleines narines pour aller lui en chaparder un sac.

Une fois prêt, il attendit la nuit, grimpa avec le troupeau sur le Haut plateau et invita toutes les étoiles à le rejoindre. Kalé et Tsenmo étaient bien entendu présentes et attendaient avec impatience la surprise de Petit Ciel.

Elles n'étaient malheureusement pas les seules. Yaktilla aussi observait du coin de l'œil ce que préparait le petit berger. Le yack supportait mal d'avoir perdu son statut de vedette du troupeau. Petit Ciel ne lui passait aucun caprice et il devait désormais marcher tout seul et manger l'herbe à même le sol. Rancunier, il ruminait sa vengeance entre deux touffes.

Aussi, tandis que Petit Ciel remplissait de poudre la casserole de mémé Tang, une idée tordue germa entre les cornes de l'animal : il allait rajouter de la poudre dans le réservoir et transformer le feu d'artifice en dangereux explosif.

Mais pour cela, il lui fallait s'approcher de la fusée sans que Kalé ne le voit ou que Petit Ciel ne l'entende. Aussi discrètement qu'il le pouvait, Yaktilla jeta un coup d'œil vers le ciel. Là-haut, Kalé était en pleine conversation avec une autre étoile et semblait bien trop excitée pour faire attention à lui. Restait Petit Ciel. Comment faire pour le surprendre ? Alors même qu'il se posait la question, la réponse lui fut proposée.

Le petit garçon, sans se méfier une seconde, était entrain de se protéger les oreilles avec des capuchons de laine. Il avait déjà entendu le badaboum des feux d'artifices lors des fêtes de la vallée et il ne voulait pas s'abîmer les tympans.

Yaktilla, les yeux plissés, sauta sur l'occasion. Bravant son dégoût pour la saleté, il se recouvrit de boue et d'herbes sèches et se faufila, ainsi camouflé, jusqu'à la fusée. Là, il attendit que Petit Ciel lui tourne le dos et remplit à ras bord le réservoir de poudre. Puis son méfait accompli, il s'éloigna en sifflotant, mine de rien.

Petit Ciel, qui n'avait rien vu, se retourna et enflamma la mèche.

Sur le Haut Plateau, tout le monde retint son souffle.

Et soudain, dans un fsssh fsssh fsssh acéré, la fusée décolla vers le ciel.

- Ca arrive ! Ca arrive ! criaient les étoiles, surexcitées.

- Bien trop vite ! Bien trop vite ! s'inquiéta Petit Ciel

- J'espère bien ! J'espère bien ! ricana Yaktilla.

Dans un BIGBADABOUM assourdissant, le feu d'artifice explosa en plein vol et illumina la nuit de flammes terrifiantes et de braises folles. Une longue traîne de fumée jaune s'étira dans le ciel comme un nuage malade et des débris brûlés retombèrent de toutes parts.

L'explosion avait été si forte que Petit Ciel en avait été projeté au sol. Recroquevillé en boule, les yeux fermés, les mains sur ses capuchons de laine, il entendait encore la terrible détonation résonner entre les montagnes.

Puis lentement, dans un long bourdonnement, le silence revint.

Un silence beaucoup trop silencieux.

Petit Ciel enleva ses protections et tendit les deux oreilles. Mais ni la respiration des bêtes, ni les intonations cristallines des étoiles ne lui parvinrent. Tous les sons des Hauts Plateaux semblaient avoir été soufflé par l'explosion.

Il ouvrit alors les yeux et vit qu'il était seul : les yacks s'étaient enfuis, effrayé par l'explosion. Puis il leva la tête au ciel et découvrit un spectacle terrifiant : les étoiles avaient disparu, laissant la nuit vide et noire.

Dans le lointain, le ricanement de Yaktilla retentit.

A suivre...