Les Contes du Zoo

D'après L'Oeil du Loup de Daniel Pennac
Travail d'écriture et de mise en scène réalisé avec la classe de Cm2 2003-2004 des Sablons

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III

 

(On retrouve les personnages dans une posture similaire à celle qu'ils avaient en arrivant dans le désert. L'ambiance de leur nouvelle destination, si elle toujours lumineuse, est désormais plus crue et tranchante. Et surtout, elle est beaucoup plus glaciale.)

GORILLE: C'est incroyable ! Le sable est devenu tout blanc !

CASSEROLE : Et la lumière est beaucoup plus crue et rasante.

HYENE et GUEPARD: (ensemble) ET IL FAIT UN DE SES FROIDS !

LOUP BLEU: Hourra mes amis ! Nous avons réussi ! Nous sommes chez moi ! En Alaska !

GUEPARD: (Transi de froid) Comment tu as fait pour vivre ici ! C'est un pays de givré !

HYENE: Je comprends mieux pourquoi on t'a appelé Loup Bleu.

AFRIQUE: Ils n'ont pas tort. On ne peut pas dire qu'il fasse très chaud ici.

HYENE: Dans le désert au moins, on avait de quoi se rafraîchir…

LOUP BLEU: Ne vous en faites pas ! Je vais trouver une solution.

LE MARCHAND TOA: (Il fait son entrée par le fond de la scène. Il porte bonnet, écharpe et large bouillote) Café bouillu ! Soupe brûlante ! Rhum St Bernard ! Tartiflette des montagnes !

AFRIQUE: Mais ? On dirait le Marchand du Sahara !

HYENE: Il n'a perdu de temps pour se reconvertir.

GUEPARD: C'est ce qu'on appelle la mondialisation du commerce.

LOUP BLEU: Dépêchons-nous avant qu'il ne s'éloigne.

CASSEROLE: Hep ! Marchand ! Par ici ! Nous sommes tes nouveaux clients.

LE MARCHAND TOA: (Il les aperçoit soudain et semble pris de panique) Les fous du désert qui n‘achètent jamais rien ! Mais laissez moi tranquille nom d'un narguilé ! Qu'est-ce que je vous ai fait ! Hein ! Laissez moi ! J'en ai marre ! Laissez moi tranquille ! (Il s'enfuit en courant, en laissant sur place son imposant thermos)

LOUP BLEU: Ce marchand est décidément très surprenant.

AFRIQUE: Peu importe ! Nous avons de quoi nous habiller et nous réchauffer !

GUEPARD: Des bonnets !

HYENE: Des écharpes !

GORILLE: Et toujours pas de banane géante au chocolat?

LOUP BLEU: Il est temps que je vous fasse découvrir mon pays natal ! Les terres même où j'ai grandi en compagnie des miens.

HYENE: Les terres, les terres…C'est vite dit ! La glace à la limite !

LOUP BLEU: Sentez-moi cet odeur de sapins, de mousse enneigée et de soleil de minuit.

HYENE: Je crois que j'ai la truffe qui commence à geler !

LOUP BLEU: C'est au milieu de ses steppes que j'ai fait mes premiers pas, mes premières course, que j'ai découvert les milles bruits et odeurs de la nature.

GUEPARD: Aaaatchaaaa !

GORILLE: Ca, c'est un éternuement !

LOUP BLEU: Oui, j'ai tout appris ici. (Plus sombre) Même la peur et la méfiance.

AFRIQUE: La peur et la méfiance ?

LOUP BLEU: Ceux sont les chasseurs qui me l'ont enseigné. Des hommes dangereux et insatiables, attirés par un unique but.

GORILLE: Les téquila fraises sanguines mélangées avec du citron ?

LOUP BLEU: Pire que ça Gorille. La seule chose qui les intéressait étaient nos peaux. Les fourrures des Loups.

AFRIQUE: Je suis désolé Loup Bleu.

LOUP BLEU: Ne le soit pas. Je t'ai déjà dit que tu n'étais pas comme eux. Les chasseurs ne m'ont apporté que la crainte et la suspicion. J'ai passé ma jeunesse à fuir leurs fusils et leur haine. Ma horde et moi n'étions en sécurité que quelques jours, obligés de repartir dès que leurs détonations retentissaient dans le lointain. Un matin que nous n'avions pas réagi assez vite, mon père Grand Loup et son frère Cousin Gris partirent à leur rencontre afin de les affronter et de les retarder. Nous ne les revîmes jamais.

CASSEROLE: C'est horrible !

LOUP BLEU: Ne dis pas ça ! Leur courage nous permit de nous échapper et sauva les plus jeunes d'entre nous. Après ça, nous avons continué à fuir vers le Nord, de plus en plus haut, là où la neige se transforme en glace et où la roche devient tranchante comme une lame.

HYENE: Et ben ! Ca doit être sympa par là-bas!

LOUP BLEU: Nous espérions que les hommes penseraient comme toi et qu'ils ne nous suivraient pas. Malheureusement, ça ne les a pas découragé. J'ai eu à peine le temps de devenir un loup adulte, qu'il m'a fallu affronter les chasseurs à mon tour. Je me rappellerai toujours de ce soir gris et blanc où nous nous battîmes au milieu de la tempête. Ils ont lâché leur chien sur moi, ils m'ont cerné sans relâche et ont fini par jeter leur filet sur mon dos.

GORILLE: Je connais un poisson à qui il est arrivé la même histoire.

LOUP BLEU: Heureusement pour moi, ils n'ont pas du trouver mon pelage à leur goûts et m'ont envoyé dans un zoo. Si vous aviez pu voir leurs regards brillants et leurs sourires satisfaits lorsqu'ils m'ont ligoté pour me mettre en cage. Quand j'y repense, je me dis que ces hommes ne nous traquent que pour nous priver de la liberté qu'ils ont eux-mêmes perdue.

AFRIQUE: C'est bien possible Loup Bleu.

NARRATEUR 1: Mais tandis que tous songent à cette dure histoire, le vent du nord se lève et apporte une bien mauvaise nouvelles aux narines de Loup Bleu.

LOUP BLEU: Que ? Attendez, cette odeur… (Effrayé) C'est impossible !

NARRATEUR 2: Mélange de poudre, de sueur et de sang, Loup Bleu vient de repérer l'odeur des chasseurs qui approchent à pas lents.

LOUP BLEU: Vite ! Il faut nous cacher ! Dans les buissons, sous les mousses et les écorces. (Les animaux courent en tous sens.)

(Les chasseurs s'avancent sur scène. Moustaches, fusils et air sombre. Ils grognent et regardent en tout sens, humant l'air comme des bêtes, cherchant des traces au sol.)

NARRATEUR 1: Malheureusement, dans cette partie de cache-cache précipitée, Afrique a laissé tomber le précieux Atlas.

(Un des chasseurs le voit)

CHASSEUR 1: Hey ! R'gardez ! Un bouquin tout intact !

CHASSEUR 2: Doit y avoir d'autres chasseurs dans le coin !

CHASSEUR 3: M'étonnerait ça ! La lecture ce n'est pas notre genre.

NARRATEUR 2: Mais le chasseur curieux, entrouvre l'ouvrage et y découvre, en guise d'écriture, les courbes des côtes et des cartes.

CHASSEUR 1: Oh ! C'est joli !

NARRATEUR 3: Comblé par ces merveilles, il empoche le vieux livre et rattrape ses compagnons sous les yeux frigorifiés de nos amis.

CHASSEUR 1: Attendez-moi les gars !

(Les chasseurs quittent la scène. Afrique et les animaux sortent de leur cachette.)

CASSEROLE: L'Atlas ! Ils ont pris notre Atlas !

AFRIQUE: La situation est grave. Les chasseurs viennent de s'emparer d'un pouvoir terrifiant.

LOUP BLEU: Il a raison. Il faut absolument récupérer l'Atlas. Avec lui, les chasseurs peuvent faire ce qu'ils veulent : abattre des lions le matin, des ours blanc à midi et finir le soir avec des kangourous.

GUEPARD: Sans compter qu'on en a besoin pour rentrer chez nous.

HYENE: (Subitement interpellée par la situation) Il faut absolument récupérer cet Atlas. Hors de question qu'on se gèle indéfiniment sur cette banquise.

AFRIQUE: Ravi de te voir enfin motivée la Hyène. Tu vas pouvoir nous aider à trouver un plan d'action.

LOUP BLEU: Je connais un peu ces Chasseurs. Tous ensemble, nous avons peut-être une chance contre eux.

NARRATEUR 1: Les animaux se rassemblent alors autour de Loup Bleu et se mettent à chuchoter tout haut. Et bien vite, un plan d'attaque voit le jour et les divers rôles se répartissent.

NARRATEUR 2: Guépard et Hyène se déguiseront en loup, afin d'appâter les chasseurs et de les surprendre par leurs pelages originaux.

GUEPARD: Surtout depuis que j'ai bronzé.

NARRATEUR 3: Ils auront pour mission d'attirer les hommes vers la forêt où Casserole les attendra, caché derrière un arbre. Le dromadaire devra alors assommer les chasseurs à grands coups de sabots.

CASSEROLE: Les bosses, c'est mon truc.

NARRATEUR 2: Profitant de cette diversion, Afrique et Loup Bleu fonceront vers le campement pour récupérer le précieux Atlas.

NARRATEUR 1: Chacun à son poste, nos amis se mettent alors en route vers… (Gorille l'interrompt)

GORILLE: Et moi alors ? Qu'est-ce que je fais ?

LOUP BLEU: (gêné) Et bien…Euh….

AFRIQUE: Tu pourrais euh…

CASSEROLE:  Tu pourrais faire un château de glace, au cas où on doit se réfugier quelque part. 

GORILLE: Cool comme idée ! J'adore votre plan.

NARRATEUR 3: Chacun à son poste, donc, nos amis se mettent en route vers le campement des hommes. Les Chasseurs y sont réunis autour d'un feu rougeoyant, nettoyant leurs armes et comparant leurs trophées.

HYENE: Les voilà !

GUEPARD: Moins fort ! On va se faire repérer !

NARRATEUR 1: Guépard et Hyène, emmitouflés dans leurs fausses fourrures faites d'écharpe et de bonnets, commencent à s'avancer, silencieux comme des fauves.

HYENE: Encore heureux !

GUEPARD: Mais tais to…o…o…o.OTCHOOM ! (Il éternue)

GUEPARD: OTCHOM ! OTCHOM ! OTCHOM !

HYENE: Mais qu'est-ce que j'ai fait pour me retrouver avec un crétin pareil ! Ca ne manquait pourtant pas les zoos en Europe !

(Jeux de scène identique. Guépard continue d'éternuer.)

GUEPARD: OTCHOM ! OTCHOM !

NARRATEUR 1: Ainsi précipité, le beau plan de Loup Bleu commence à perdre de sa cohérence. Et tandis que la Hyène fonce vers les bois, elle ne se doute pas que Casserole et les autres ne sont pas encore en place.

CASSEROLE: Et vous pensez qu'il vaut mieux que je les frappe du sabot gauche ou du sabot droit ?  

AFRIQUE: Peu importe Casserole. Du côté où tu te sens le plus à l'aise.

CASSEROLE: Non, parce qu'au foot, je suis plus doué avec le gauche. Quoique pour les penaltys, des fois, j'y vais avec le droit.

HYENE: Vite ! Ils arrivent ! Ils arrivent !

NARRATEUR 2: Alerté par les cris angoissés de la Hyène, Casserole réagit d'instinct. Et c'est d'un superbe extérieur du sabot gauche qu'il accueille les deux ombres surgissant des bois.

(Casserole envoie un grand coup de pied dans Guépard et Hyène qui fonçaient vers lui. Tous deux tombent au sol, assommés sur le coup.)

NARRATEUR 3: Tout à leur étonnement, le trio se penchent alors sur ses deux amis, allongé au sol, la tête couronnée de 36 chandelles. Ce faisant, il ne voit pas les Chasseurs arriver dans leur dos.

CHASSEURS 3: Les gars, on vient de tirer le gros lot. On va se faire une petite fortune avec leurs peaux.

NARRATEUR 1: Encerclés, impuissants, nos amis croient ainsi leur dernière heure arrivée.

HYENE: Yge ! Je ne t'oublierais jamais !

(Gorille fait son entrée, avec sa pelle et son râteau)

GORILLE: Dites ! Z'auriez pas une pioche aussi, parce qu'il est vachement dur le sable par ici.

CHASSEUR 1: AAAAHH ! REGARDEZ !

CHASSEUR 2: LE YETI ! C'EST LE YETI !

CHASSEUR 3: Vaut mieux s'enfuir les gars ! Il est trop fort pour nous !

(Les 3 chasseurs s'enfuient. Ils perdent même l'Atlas dans leur course.)

GORILLE: Le yéti ? Où ça le yéti ?

AFRIQUE: Hourrah pour Gorille ! Sans lui, on était cuit.

HYENE: Surtout nous, oui !

GUEPARD+CASSEROLE+LOUP BLEU: Hourrah pour Gorille ! Hourrah pour l'Atlas !

HYENE: Youpi, on va se barrer de ce frigo géant !

AFRIQUE : Tu as raison Hyène. Il est temps de changer de décor. Ce n'est pas que je n'aime pas l'Alaska Loup Bleu mais j'ai peur que les conditions météo ne soient pas les meilleurs pour nous.

CASSEROLE: C'est clair ! Ca manque de bonnes vagues pour le surf !

LOUP BLEU: Ne vous en faites pas ! Je vous comprends. Moi-même, je ne suis pas sûr de vouloir revivre ici.

GUEPARD: Trop de mauvais souvenirs ?

LOUP BLEU: Oui… Puis il fait un peu froid l'hivers en pleine nuit.

HYENE: Parce qu'on est en quelle saison là ? Hein ? On est quand même pas en été ?

LOUP BLEU: J'ai bien peur que oui. En même temps, je n'aimerai pas trop repartir dans le désert. C'est vraiment très joli, le bac à sable et tout, mais c'est définitivement trop chaud pour moi.

HYENE: De toute façon où qu'on aille, ça n'ira jamais. Ca sera soit trop chaud, soit trop froid. Ou il n'y aura trop de verdure ou pas assez de bananes. Sans compter qu'on tombera toujours sur des chasseurs prêts à nous transformer en manteaux ou en moquettes.

CASSEROLE: Mais alors on va aller où ? On ne va tout de même rentrer au zoo ?

GUEPARD: Ca jamais ! Pour une fois que je réussis une évasion.

HYENE: Hi hi hi ! (Moqueuse. Le guépard lui jette un regard sombre en retour. Les autres animaux se mettent à réfléchir profondément, l'air sérieux. Afrique, assis en tailleur, feuillette l'Atlas.)

AFRIQUE: A moins que…Mais oui ! Regardez ! Il reste des pages blanches à la fin de l'Atlas !

HYENE: Génial ! On va finir nos jours dans une mer de lait !

AFRIQUE: Mais non ! On n'a qu'à dessiner dessus le pays qu'on veut et on y serait immédiatement transporté.

GUEPARD: C'est évident ! Comment ça se fait que j'y ai pas pensé avant…

HYENE: On se demande.

AFRIQUE: Allez, approchez ! Je suis sûr qu'avec quelques crayons et un peu d'imagination, on devrait arriver à quelque chose qui nous conviendrait à tous.

NARRATEUR 1: Et tous les animaux se rassemblent une nouvelle fois autour d'Afrique. L'un après l'autre, ils se mettent à parler et à décrire le pays de leur rêve, tandis qu'Afrique en trace patiemment les contours et les formes.

NARRATEUR 2: Puis ils se rapprochent davantage et se serrent fort les pattes. Afrique se penche sur la carte au trait encore vibrant et l'effleure doucement du bout de son index.

NARRATEUR 3: Et dans un dernier tourbillon de cumin, de bois vert et de ciel toujours bleu, ils s'effacent lentement et s'envolent enfin vers leur monde idéal. (Scène au noir. Seule la voix du gorille jaillit de l'obscurité.)

GORILLE: Cooooool, une banane géante sur un lac de chocolat !

 

FIN