Imaginarium

Terre : Une terre rouge orange, sèche et granuleuse. Une de ces terres du sud, poudreuse, qui s'effrite à la moindre pression et s'envole en poussière depuis le creux de votre paume.

Je suis en maternelle. Thérèse, une troisième grand-mère au accent d'espagne, s'occupe de nous à la fermeture de la garderie. Elle habite au bout d'un chemin en terre, après une petite côte au goudron fissuré qui donne sur une placette commune aux trois ou quatre maisons qui l'entourent. La sienne est la première à droite. Elle possède une petite véranda jaune qui s'avance sur une jetée de béton. Nous y restons souvent, les jours de chaleur, perchés sur des rondins de bois en guise de siège.

Autour de nous, les champs de tulipes quadrillent le paysage. La terre brune et nue y patiente, au repos. Les socs des tracteurs y creusent de profonds sillons, enfonçant leurs lames d'acier, retournant en vagues immobiles le sol meuble et tendre.

Au bout de la placette, une seconde côte, de terre cette fois, grimpe vers les restanques. La terre y est dure, aplatie par le passage des hommes et des tracteurs. Des pierres beiges y affleurent ça et là.

J'adore monter au sommet de ce coteau. Il constitue le départ de chacune de mes aventures. Une base de décollage d'où je m'élance vers les plus beaux mystères de mon imaginaire. Du haut de mes 90 centimètres, je dévale la pente rapide, bras écartés et jambes au vent. En bas, je négocie le virage au plus près, obliquant mon corps de quelques degrés avant de rectifier l'assiette et de continuer plein pot, vers l'autre bout de la placette.

Je suis un avion. Je suis le Capitaine Flam. Je suis Ulysse le conquérant.

Un après midi baigné de lumière orange, mon plan d'envol se voit toutefois compromis par une semelle traînante. Alors que j'aborde le virage décisif, mon pied accroche une pierre, se tord et me fait découvrir la douloureuse morsure du sol. Je m'étale de tout mon long, face la première sur la pente râpeuse. Je me relève, presque affolé par le son de mes pleurs. Thérèse accoure depuis la jetée de béton. Ma joue me brûle. J'y porte mes doigts et y découvre une poussière grasse et rouge, mélange de terre et de sang.

Etrangement, je ne me souviens pas de l'aspect que pouvait avoir cette blessure. Aucune trace de reflet balafré ou de pansement dans ma mémoire. Je vivrais cette plaie de l'intérieur, mesurant son effet dans le regard des autres et n'appréciant son ampleur que par le toucher persistant de mes doigts sur la croûte qui s'y forma lentement. Une croûte que j'imagine encore épaisse et craquelante, prête à se fissurer sous la pression de mes ongles ronds et avides. Une croûte tendre à la couleur rouge orange.

02/12/4 – Atelier Seriko